Beyrouth, de crises en crises

Publié le 11 février 2021

La double explosion du 4 août 2020 à Beyrouth est présente dans tous les esprits. Une tragédie de plus dans la mémoire collective des Libanais.e.s qui a causé la mort de plus de 200 personnes. Cinq mois après, la ville reste meurtrie par l’événement.

Carnet de route

A Beyrouth, je me retrouve au cœur d’une ville fatiguée. L’ambiance est différente de ce que j’ai connu en 2015, 2017 et 2018, lors de mes précédents voyages. 

La crise sanitaire d’abord, m’a contraint à vivre dans un pays confiné. Si le couvre-feu permanent n’est pas respecté par tous dans le pays, Beyrouth et les villages du Mont-Liban font partie des zones où la population fait le plus attention. La ville est bien plus calme qu’à l’accoutumée. Fini les klaxons, les embouteillages, les fumées des pots d’échappement, les deux-roues un peu fous : la ville est devenue respirable ! On y entend le bruit des oiseaux, et l’on peut traverser à pieds les avenues sans risquer de se faire écraser. 

Ensuite, il y a la crise économique et financière : le pays est en banqueroute depuis des mois. L’inflation est galopante et les comptes en dollars des Libanais sont bloqués. La Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet, a appelé en juillet 2020, à la protection des plus vulnérables, Libanais, réfugiés ou migrants.

Dès les premiers jours, j’observe des scènes jamais vues avant : des files d’attente aux portes des banques. La situation est complexe. C’est Naim, mon colocataire, qui m’explique le mieux la situation :

« Pendant trente ans, depuis la fin de la guerre, la valeur de la livre libanaise était indexée au dollars. Le taux était fixe : avant, 1500 livres = 1 dollar. On pouvait payer en dollar ou en livres, partout où on le voulait. Les Libanais ont d’ailleurs souvent un compte bancaire en dollars, et un compte bancaire avec des livres. En 2019, le gouvernement se retrouve en cessation de paiement. Il n’a plus de dollars pour de multiples raisons (corruption ; commerce extérieur, insécurité ; etc…). La livre libanaise se dévalue et tous les Libanais se ruent pour retirer les dollars de leurs comptes bancaires. Pour freiner cela, les banques imposent un retrait limite par semaine. Puis, elles finissent par bloquer les comptes en dollars. La seule possibilité de retrait qui leur est donnée désormais est de retirer leurs dollars en livres. Mais en faisant cela, en raison du taux de change et des taxes, 60% de la somme est perdue. »

Vous comprenez ? Je continue …

En fait, il faut imaginer qu’aujourd’hui, il y a trois taux de change différents qui cohabitent à l’intérieur du pays.
Le taux officiel : 1500 livres = 1 dollar.
Le taux du marché noir : 9000 livres = 1 dollar.
Et le taux des banques : 3 900 livres = 1 dollar.

Les Libanais n’ont plus accès à leurs comptes bancaires en dollars. Seuls les certains magasins sont habilités à transférer de l’argent à l’étranger, ce qui en fait des sortes de banques alternatives. Cette ruée vers le dollar s’observe même dans le language. Le « fresh dollar » ("le dollar frais") désigne les dollars qui viennent de l’extérieur du pays. Le « Lollar » (Lebanese Dollar) correspond à l’ancien dollar. Et les Libanais.es peuvent désormais créer un « fresh account » ("un compte frais") avec les fresh dollars qui valent plus que les « lollars ».

Vous comprenez toujours ?

Si vous deviez retenir une chose, retenez ceci : avec la crise économique, la moitié de la population libanaise vit désormais sous le seuil de pauvreté.

Avec le confinement, les manifestations sont plus rares, mais les Libanais font souvent référence à la « révolution » d’octobre 2019, quand le peuple s’est soulevé pour renverser le gouvernement. Des heurts ont cependant éclaté à Tripoli, la seconde ville du pays, au Nord. Gravement touchés par la pauvreté, des habitants ont manifesté contre le gouvernement et les mesures liées au confinement. La municipalité de la ville a été brûlée. Les altercations avec les forces de l’ordre et l’armée ont fait plusieurs centaines de blessés et deux morts. 

Avec tout ça, l’explosion du 4 août semble presque loin. Dans le quartier où je vis, il n’y a pas eu de dégâts. Les vitres de son appartement n’ont pas explosé. En revanche, ses colocataires se souviennent de ce jour. L’un était à la maison, et il a senti le canapé où il était assis se déplacer vers la droite. L’autre était en voiture à Badaro, non loin de la maison, et le véhicule a été soufflé sur le côté de la route.

Et puis avec le bruit de la détonation, comme beaucoup de Libanais, ils ont pensé que c’était à nouveau la guerre, qu’Israël attaquait. Le quartier de Badaro se situe à plusieurs kilomètres du port. Il a été épargné.

En se promenant dans les quartiers proches du port (Gemmazeh et La quarantaine), Sidonie comprend l’ampleur de la catastrophe. Certains bâtiments n’ont pas encore retrouvé de fenêtres. Le long de l’avenue Charles Helou, qui longe le port, la vision est cauchemardesque. Le silo à grains éventré est exposé aux yeux des piétons et des automobilistes. Il git, immobile, au milieu de restes de tôles pliées et froissées, et à côté d’un trou géant … là où se trouvait le hangar qui a explosé. La scène est apocalyptique, comme si le temps s’était arrêté…

Article publié le 11 février 2021

Sources photographiques

Aux alentours de l’explosion, la zone du port est encore complètement détruite © Globe Reporters
Aux alentours de l’explosion, la zone du port est encore complètement détruite © Globe Reporters
Dans le quartier de la quarantaine à Beyrouth, situé face au hangar qui a explosé, les stigmates restent visibles © Globe Reporters
Dans le quartier de la quarantaine à Beyrouth, situé face au hangar qui a explosé, les stigmates restent visibles © Globe Reporters
Des immeubles en première ligne, situés dans le quartier peuplé et fréquenté de Mar Mikael, sont encore privés de fenêtres © Globe Reporters
Des immeubles en première ligne, situés dans le quartier peuplé et fréquenté de Mar Mikael, sont encore privés de fenêtres © Globe Reporters
Et il reste du verre non ramassé dans les rues © Globe Reporters
Et il reste du verre non ramassé dans les rues © Globe Reporters
La colère gronde dans un pays déjà accablé par une crise financière et économique sans précédent © Globe Reporters
La colère gronde dans un pays déjà accablé par une crise financière et économique sans précédent © Globe Reporters
Le quartier de la quarantaine est l’un des plus touchés. Ce quartier se situe sur la zone portuaire © Globe Reporters
Le quartier de la quarantaine est l’un des plus touchés. Ce quartier se situe sur la zone portuaire © Globe Reporters
Les hangars ont été soufflés et la tôle pliée © Globe Reporters
Les hangars ont été soufflés et la tôle pliée © Globe Reporters
Les traces de l’explosion du 4 août 2020 restent visibles aux alentour du Port, ici le long de l’avenue Charles HELOU, l’artère qui longe le port de Beyrouth © Globe Reporters
Les traces de l’explosion du 4 août 2020 restent visibles aux alentour du Port, ici le long de l’avenue Charles HELOU, l’artère qui longe le port de Beyrouth © Globe Reporters
Malgré l’aide humanitaire, et le remplacement de centaines de fenêtres, certains bâtiments restent vides et très endommagés © Globe Reporters
Malgré l’aide humanitaire, et le remplacement de centaines de fenêtres, certains bâtiments restent vides et très endommagés © Globe Reporters
Un autre bâtiment face au port, le long de l’avenue Charles Helou © Globe Reporters
Un autre bâtiment face au port, le long de l’avenue Charles Helou © Globe Reporters
Un peu plus loin, en centre-ville, au niveau de la Place des Martyres, certains bâtiments ont aussi souffert © Globe Reporters
Un peu plus loin, en centre-ville, au niveau de la Place des Martyres, certains bâtiments ont aussi souffert © Globe Reporters
Vue d’ensemble du port en janvier 2021 © Globe Reporters
Vue d’ensemble du port en janvier 2021 © Globe Reporters
Aux alentours de l’explosion, la zone du port est encore complètement détruite © Globe Reporters
Dans le quartier de la quarantaine à Beyrouth, situé face au hangar qui a explosé, les stigmates restent visibles © Globe Reporters
Des immeubles en première ligne, situés dans le quartier peuplé et fréquenté de Mar Mikael, sont encore privés de fenêtres © Globe Reporters
Et il reste du verre non ramassé dans les rues © Globe Reporters
La colère gronde dans un pays déjà accablé par une crise financière et économique sans précédent © Globe Reporters
Le quartier de la quarantaine est l’un des plus touchés. Ce quartier se situe sur la zone portuaire © Globe Reporters
Les hangars ont été soufflés et la tôle pliée © Globe Reporters
Les traces de l’explosion du 4 août 2020 restent visibles aux alentour du Port, ici le long de l’avenue Charles HELOU, l’artère qui longe le port de Beyrouth © Globe Reporters
Malgré l’aide humanitaire, et le remplacement de centaines de fenêtres, certains bâtiments restent vides et très endommagés © Globe Reporters
Un autre bâtiment face au port, le long de l’avenue Charles Helou © Globe Reporters
Un peu plus loin, en centre-ville, au niveau de la Place des Martyres, certains bâtiments ont aussi souffert © Globe Reporters
Vue d’ensemble du port en janvier 2021 © Globe Reporters

Téléchargements

Les partenaires de la campagne

  • Pays de la Loire - Cooperation
  • Region Pays de la Loire
  • Villes libanaises
  • 04 CLEMI
  • AFD
  • SOCLE
  • 01 Ministère de la Culture et de la Communication
  • 02 Ministère Education nationale