Qui étaient les esclaves marrons ?

Publié le 15 mars 2018

Anne-Laure Dijoux est docteure en archéologie, spécialiste de l’archéologie à La Réunion. L’archéologie est la science qui étudie les vestiges des populations du passé enfouis dans la terre ou dans la mer. Elle répond aux questions des globe-reporters du collège Germaine Tillion à Lardy.

Economie, histoire et politique

Qu’est-ce que le marronage ? D’où vient le mot marron ?

Le marronnage est le terme qui a été utilisé pour désigner pour la fuite des esclaves dans les montagnes ou par la mer. Le mot francisé ‘maron’ ou ‘marron’ serait originaire du terme espagnol "cimarrón" qui désigne un animal domestique échappé et retourné à l’état sauvage.

Que savons-nous aujourd’hui de cette pratique ?

Le marronnage est assez bien documenté par les archives écrites, il existe pour les anciennes colonies françaises, divers documents anciens qui le relatent : récits de chasseurs d’esclaves, témoignages de colons, déclarations de vols commis sur les plantations, interrogatoires de marrons capturés, documents administratifs et textes de loi fixant les sanctions en cas de fuite, code noir etc. Du point de vue de l’archéologie, le phénomène est encore peu documenté aujourd’hui.

Quel était le rôle des chasseurs d’esclaves ? Combien étaient-ils payés et par qui ?

Les chasseurs d’esclaves étaient des personnes désignées pour aller capturer les esclaves en fuite dans les bois, ils pouvaient être de simples colons en quête de récompenses financières ou de véritables chasseurs avec formation militaire. Une capture d’esclave marron abattu ou vif, était récompensée au début du XVIII e siècle par 30 livres, ce qui représentait beaucoup à l’époque. C’est le gouvernement qui versait les primes aux chasseurs, celles-ci sont passées au milieu du XVIII e siècle à 100 livres pour un marron capturé vif et à 50 pour un marron abattu. Les chasseurs devaient ramener la main droite du marron comme preuve.

Qu’est-ce que la vallée perdue ?

La « Vallée secrète » est le nom qui a été choisi pour désigner un site archéologique de marronnage situé dans le cirque de Cilaos, à l’île de La Réunion. Ce site abrite un campement d’esclaves marrons dans un lieu très difficile d’accès, escarpé et hostile à la vie humaine. Le camp est composé de deux abris construits en pièce sèche, dont il ne reste aujourd’hui que les fondations.

Que nous apprend l’archéologie sur le marronage ? Notamment à Cilaos.

Les fouilles archéologiques menées sur le site de la « vallée secrète » ont permis d’étudier le premier et seul site de marronnage avéré à La Réunion. Nous avons mis en évidence qu’un groupe de marrons s’est réfugié dans cet endroit escarpé qui leur a servi de refuge, probablement temporaire. Pour leur nourriture, les marrons capturaient des oiseaux marins qui nichaient à proximité pendant une période spécifique de l’année, connue des marrons. Pour survivre, ils ont construit deux abris en pierre sèche afin de se protéger des conditions climatiques extrêmes (0°en hiver) à l’intérieur des desquels ils dormaient et allumaient des feux pour se réchauffer et cuire les oiseaux et d’autres viandes.

Quels sont les principaux sites archéologiques pour le marronage ?

À La Réunion, il n’y a qu’un seul site archéologique de marronnage avéré par les recherches archéologiques, c’est celui de la « Vallée secrète » à Cilaos. Il existe dans les archives écrites plusieurs mentions de grands camps marrons dans les terres intérieures de l’île, mais il est aujourd’hui difficile de les retrouver, certains ont été détruits par le temps et d’autres enfouis sous des villages actuels.

Y-avait- il des villages ou des campements de marrons ?

A l’île Bourbon/La Réunion, les archives écrites mentionnent l’existence de nombreux camps de marrons dans les bois, on ne parle pas vraiment de villages. Ces campements étaient composés de plusieurs petites habitations construites en matières végétales (bois, feuilles), appelées "ajoupas". Il y avait parfois des petits carrés de terre cultivés où les marrons faisaient pousser des patates, des haricots, des bananes ou du maïs.

Est-ce que le marronage à La Réunion et à Maurice était différent ?

La géographie de ces îles étant très différente, le marronnage y a pris des formes différentes. À La Réunion, le paysage est beaucoup plus montagneux et escarpé qu’à Maurice, il y a donc eu plus de camps installés dans des endroits extrêmes, par exemple dans des vallées difficiles d’accès ou dans des endroits cachés à haute altitude. À Maurice, l’île est plus plate et a connu plus de camps installés dans la savane ou dans des petits abris sous roche. Mais dans les deux cas, les marrons ont choisi les lieux les plus escarpés pour se réfugier (comme la montagne du Morne à Maurice ou la « Vallée secrète » à La Réunion).

Selon vous, pourquoi est-ce important d’en savoir davantage sur le marronage ?

Le développement des recherches historiques et surtout archéologiques sur le marronnage est très important pour permettre de documenter les populations marronnes, dont la vie matérielle est mal connue. Nous ignorons par exemple quels étaient leurs rites funéraires, ou encore si les marrons ont reproduit des coutumes de leurs pays d’origine dans divers domaines tels que l’architecture.