Alex PETRICEAN, le jeune et talentueux chef du restaurant Maize à Bucarest, répond aux questions d’Eloïse, Ethan, Tidan, Benjamin, du lycée Arago à Perpignan.
Vie quotidienne
A 32 ans, Alex PETRICEAN a du succès : après être arrivé troisième de la version roumaine de Masterchef, en 2012, il décide de faire de la cuisine son métier. Il est désigné « Chef de l’année » en 2018, dans la première version roumaine du guide gastronomique Gault&Millau.
Quand notre envoyée spéciale voit que les globe-reporters veulent faire son portrait, elle essaye de le contacter assez rapidement, à son arrivée à Bucarest : elle se dit que, comme il est célèbre, cela prendra certainement du temps pour le rencontrer. Elle lui envoie un message sur son compte Facebook, plus un mail à l’adresse de son restaurant. Finalement, Elodie appelle le resto, explique le projet à l’une de ses collaboratrices, et moins d’une heure plus tard, elle a rendez-vous pour le lendemain !
Son restaurant, Maize (prononcer « meïz »), se trouve dans un quartier huppé de Bucarest : Dorobanti. Et plus précisément... rue de Paris !
Elodie a bon espoir qu’Alex Petricean réponde en français : sur Facebook, il affiche le surnom du célèbre mousquetaire D’Artagnan. Une référence, en fait, à son passé de champion d’escrime. Comme beaucoup de gens, il comprend bien le français, mais ne le parle que peu. L’interview a donc lieu en anglais. Et s’achève par une dégustation !
-Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Alex Petricean, chef du restaurant Maiz à Bucarest, j’ai 32 ans . Nous sommes spécialisés dans les produits locaux et la tradition gastronomique roumaine. mais en utilisant les techniques modernes et un style actuel de cuisine.
-Comment avez-vous eu envie de devenir cuisinier et quand ? Est ce que votre famille ou des amis cuisinaient ?
J’ai commencé à cuisiner en participant à Masterchef. J’ai étudié l’économie à l’université. Je suis aussi un champion d’escrime, j’ai même été assez loin et remporté des compétitions européennes et mondiales. J’ai travaillé dans la publicité après mes études d’économie. Mais j’ai réalisé que ce n’était pas la vie que je voulais : je n’avais pas de passion pour ce que je faisais. En 2012 j’ai participé à cette compétition Masterchef qui existe partout dans le monde. C’était la première saison en Roumanie, c’était nouveau pour tout le monde. Je n’avais pas de compétences particulières pour la cuisine, mais j’aimais bien manger car ma famille cuisine très bien. C’était comme d’aller à un examen et de voir si on est bon. Chaque étape était comme un nouvel examen et je suis arrivé 3ème sur 2500. Ca a compté beaucoup pour moi qui n’avait pas d’expérience : c’est pour cela que j’ai voulu aller plus loin et me spécialiser dans la cuisine. J’ai commencé à travailler dans les meilleurs restaurants en Roumanie, mais je me suis rendu compte que ce n’était pas des standards très élevés. Ici nous avons une identité, mais elle n’est pas aboutie, notre cuisine n’est pas connue dans le monde, mais nous avons nos traditions. C’est pourquoi il y a deux ans j’ai été à l’origine de ce manifeste sur la "nouvelle cuisine roumaine" que je promeus, comme un ambassadeur. En 2018 beaucoup de choses ont changé avec la distinction de Gault&Millau, (célèbre guide gastronomique édité pour la première fois en Roumanie ) qui a choisi les meilleurs chefs et les meilleurs restaurants du pays : cela a permis d’établir des standards élevés pour la gastronomie roumaine. C’est le début d’une belle époque !
-Pourquoi avoir voyagé autant pour vous former ?
La Roumanie n’avait pas des standards de cuisine très élevés. Ni une identité très forte en terme de restaurants. C’était la cuisine française qui était adaptée aux ressources et besoins locaux, c’était un peu la cuisine des années 20 en France, alors que nous étions dans les années 2000. La cuisine la plus populaire en Roumanie c’est la cuisine italienne : pizzas et pâtes, et quelques années plus tard les burgers sont arrivés. On a aussi besoin aussi d’éduquer les clients, peu habitués aux standards élevés dans les restaurants pour comprendre la philosophie de la cuisine et d’un chef. En raison du système éducatif qui existait avant sous le communisme, vous pouviez devenir un chef juste avec un diplôme du lycée (11th grade) . Même aujourd’hui il n’existe pas de filières pour former à la cuisine. Pas comme en France. Etre un chef c’était un travail peu valorisé.
-Est-ce que cette situation évolue ?
Avec les émissons de télé comme Masterchef : les gens ont commencé à reconnaître qu’il ne s’agit pas uniquement de faire à manger, mais c’est aussi une attitude, une personnalité, une équipe, des ingrédients etc... Ces émissions ont diffusé une culture et les gens ont commencé à mieux considérer la cuisine. C’est à ce moment là que j’ai commencé et j’ai eu l’opportunité de travailler dans les meilleurs restaurants. Avant on devait commencer à 15 ans : laver la vaisselle, éplucher les patates. Et être 5 ans stagiaire avant de se lancer. Puis je me suis intéressé aux pays européens : France, Italie, les pays du Nord. J’ai posé ma candidature, c’était dur : personne ne voulait d’un Roumain sans expérience dans des grands restaurants. J’ai d’abord travaillé sans être payé. J’ai appris dans les meilleurs restaurants du monde : au Mexique, au Pérou, au Chili, au Danemark, en Suède, Italie, Allemagne, Espagne.... C’était très important piur changer ma perspective. Les sarmale et les mici par exemple sont des plats roumains de "comfort food", rustiques, il faut les travailler pour que les touristes puissent les apprécier.
-Comment/pourquoi la cuisine traditionnelle roumaine a-t-elle eu une importance pour vous ?
Vous êtes français : vous comprenez mieux la cuisine française que celle des autres pays du monde. Avant je cuisinais des plats internationaux c’était créatif mais sans identité, et les gens ne le comprenaient pas, puisque ca n’était pas d’ici. J’ai travaillé avec des recettes anciennes, j’ai pris un livre de cuisine de ma grand-mère. Et je les ai transformé en des recettes plus créatives et plus modernes. J’ai aussi appris auprès des personnes qui connaissaient la cuisine traditionnelle maison. J’ai fait une recherche après auprès d’une centaine de producteurs de tout le pays : la Roumanie est un grand pays. C’était nouveau pour ici, personne n’utilisait les produits locaux. Ca a été la clé du manifeste pour la nouvelle cuisine roumaine.
-Quels plats préférez-vous ? Quels plats cuisinez-vous ?
Tout le monde me le demande, mais en fait je n’ai pas de plat préféré. J’ai des plats de mon enfance qui me procurent des émotions, je me rappelle quand mon grand-père faisait du steak de collier de porc grillé avec des frites et de la choucroute. Il y a aussi le gris cu lapte : une sorte de porridge cuit dans du lait avec de la confiture de cerises. Quand je mange ces plats, je souris, car ils me rappellent quelque chose. Ce sont des goûts qui charrient des émotions. Nous avons des plats spéciaux pour Pâques et Noël. Comme le cozonac (une brioche aux noix et chocolat). Le dimanche pour le brunch on fait ce genre de plats rustiques.
-Vous avez été nommé chef de l’année par le Gault et Millau roumain, qu’est-ce que ça change pour vous ?
Ca a changé beaucoup de choses. Quand c’est arrivé le restaurant était ouvert depuis 8 mois et tout le monde a dit : "comment pouvez-vous récompenser cette nouvelle adresse". Beaucoup de gens sont venus et nous ont critiqué : « sa cuisine est trop compliquée, on ne la comprend pas. Il pense trop ce chef. » Après ce prix, les gens ont commencé à changer d’opinion et à penser que le problème venait peut-être d’eux. On a eu un boom dans les réservations et les clients s’efforçaient de comprendre ce que nous faisions, le concept et de l’apprécier sans présupposés.
-Il y a-t-il un système d’étoiles comme en France pour distinguer les restaurants ?
Non, ça n’existe pas. Le seul classement est celui de Gault&Millau, il y a des journalistes qui font des critiques sur des blogs et des journaux en ligne, mais ce n’est pas officiel.
-Vous privilégiez des circuits courts pour vous approvisionner mais d’où viennent vos produits ? Trouvez-vous tout sur place ?
Mon propriétaire quand on a ouvert m’a dit qu’il voulait faire un restaurant "de la ferme à la table", mais il ne pensait pas que l’on puisse trouver les produits qui convenaient en Roumanie. Je lui ai dit : "on essaie de le faire avec des produits roumains." J’ai évoqué cette recherche qui nous a amené rencontrer une centaine de producteurs mais finalement on a travaillé avec une trentaine seulement, avec qui on établit des partenariats. On a besoin de qualité, de respect des délais. On a commencé le restaurant avec 90% de produits roumains. Nous sommes aussi le premier restaurant saisonnier : au supermarché on trouve les tomates en avril, mais avec nos producteurs elles arrivent le premier juillet. Les gens ne comprenaient pas pourquoi on avait pas de salade de tomate dès varil. Mais ce n’était pas les tomates que nous voulions servir. Un autre problème : la quantité de produit. Mon éleveur de poulets ne pouvait m’en fournir que 20 par mois et j’en vendais 20 par semaine et il n’y en avait plus la semaine suivante. On commencé à faire des programmes avec plus de producteurs : on travaille par cycle, quand je n’ai pas de poulet, je peux servir une autre sorte des oiseaux sauvages, du porc ou du poison de la mer Noire ou du Danube. Maintenant avec la notoriété, les producteurs viennent à nous et nous demandent d’essayer leurs produits. C’est plus facile.
Sources photographiques
Le restaurant, Maize, est situé rue de Paris, dans le quartier chic Dorobanti
Alex Petricean, le renommé chef de Maize
Le slogan de Maize est : « from farm to table » (« de la ferme à la table ») ;
Vue sur la cuisine et le menu sur l’ardoise à gauche
Le restaurant possède une cuisine ouverte, visible par les clients depuis la salle.
Une autre vue sur la cuisine
Dans l’entrée, des bocaux de fruits et légumes saumurés sont exposés. Les aliments en saumure sont typiques de la cuisine roumaine.
Sur le mur, est affichée la récompense décernée en 2018 par le guide Gault et Millau : « Chef de l’année ».
Le guide, en bonne place sur le comptoir.
La double page consacré à Alex Petricean.
Une scoverga, beignet traditionnel revisité par Alex Petricean : le beignet est fourré de chifte, des boulettes de viande à l’ail. Il est recouvert de fromage grillé et d’une moutarde faite maison. La moutarde roumaine est un peu sucrée.
Miam !