Décrocher une interview… tout un métier

Publié le 15 décembre 2015

« Je suis désolé(e), mais je ne suis pas habilité(e) à vous parler. Et la personne qui peut le faire n’est pas disponible. » Combien de fois les envoyées spéciales des globe-reporters ont-elles entendu cela au cours de la COP 21 ?

Les coulisses des enquêtes

Décrocher une interview n’est pas si simple, que l’on travaille pour la télé, la radio, un média web, écrit… ou bien pour les globe-reporters ! Le fait de ne pas être un média officiel n’y change rien.

Le problème de la COP 21, c’est que beaucoup de monde parle des négociations, les commente. Mais personne n’a vraiment l’info ! Et entre les « parties », les pays qui négocient, la règle du « no name, no shame » prévaut : on ne nomme pas ceux qui bloquent les négociations.

Du coup, les ONG le font. Ce sont elles, beaucoup, qui informent les journalistes des négociations. En fait, elles n’ont pas forcément davantage d’information, mais elles passent surtout leur temps à « tirer la sonnette d’alarme » pour maintenir la pression sur les négociateurs afin qu’ils s’engagent, tous, pour limiter le réchauffement climatique.

« Nous voulons vraiment donner cette interview »

C’est comme une réunion entre voisins qui devraient se mettre d’accord sur la manière de gérer leur jardin. Chacun veut sa parcelle pour cultiver ses tomates, et a sa manière de voir les choses. À deux ou trois, il y a déjà du débat, mais à 195… C’est encore pire. Surtout que les pays en voie de développement ne voient pas pourquoi ils contribueraient autant que les autres, alors que pendant des années, les pays développés ont pollué. Tout cela provoque de nombreux débats.

À la fin des négociations, les discussions sont bilatérales, c’est-à-dire entre deux pays. À ce moment-là, très peu d’informations filtrent. Et c’est encore plus difficile pour obtenir une interview. Nous avons par exemple essayé, à maintes reprises, de voir la ministre de l’Environnement canadienne Madame McKenna. « Elle veut vraiment faire cette interview, nous dit son attachée de presse, qui refuse d’être interviewée, car son rôle est de trouver des interlocuteurs, mais pas de parler elle-même dans les médias. Comprenez-nous, elle s’est couchée à 6h du matin. Nous avons vraiment envie de le faire, mais c’est difficile. »

Rentrer sans sujet ? Pas une option possible pour un journaliste

On y retourne le lendemain. Il faut se rendre au pavillon des délégations, qui n’est pas à côté du centre média. Frapper à la porte de la délégation, fermée au public. Attendre. Se présenter à la personne qui nous ouvre. Encore attendre. Un autre membre de l’équipe de communication nous accueille. Il nous dit qu’il a bien notre demande en tête. « We’re working on it. ». Ils travaillent dessus. Mais vont-ils faire cette interview, oui ou non ? Rentrer sans sujet n’est pas une option possible pour un journaliste ! Que l’on travaille pour RFI, France Culture, Mediapart ou pour les globe-reporters ! Pas le temps d’attendre pourtant, car nous devons traiter un autre sujet, et nous rendre à la délégation turque.

Nous avons même interviewé des anges

Là, même son de cloche. « S’il vous plait, aidez-moi, finit-on par dire à une femme de la délégation turque qui esquisse un sourire en nous voyant. J’ai vraiment besoin de vous et de cette interview pour les élèves du lycée Saint Benoit à Istanbul. » Elle finit par intercepter le chef de la délégation. La réponse est la même : « Revenez plus tard », lâche-t-il, déjà parti, en me tapant sur l’épaule. Il faut quasiment lui courir après ! « Mais quand ? » L’une de ses conseillères qui commence à nous connaître sourit : « Nous sommes désolés, nous sommes vraiment dans la dernière ligne droite. Nous ne dormons plus. Revenez ce soir. » Et tant pis si on avait prévu de rentrer chez soi. Le journaliste travaille sans avoir d’horaires précis. La nuit, le week-end. L’actualité fixe les horaires !

Livrer les articles, travailler dans l’urgence

En même temps, à la fin de la COP, c’est vraiment le pire moment pour demander une interview ! Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ? Nous travaillons avec 16 classes, et chacune d’entre elles a demandé plusieurs interviews. Nous avons tout d’abord essayé d’en faire un maximum. Or, décrocher des interviews de stars demande du temps, de la persévérance, de les attendre, de les relancer plusieurs fois par jour.

En deux semaines, nous avons dû trouver les bons interlocuteurs qui correspondent à chaque sujet (Valérie, qui a dû enquêter sur la silure, peut en témoigner aussi : ce n’est pas toujours facile !), caler les entretiens (tout le monde est débordé, ou explique qu’il faut faire un mail, passer par l’ambassade, demander l’autorisation), trouver des francophones (pour que nos globe-reporters puissent comprendre, et parce que retranscrire une interview peut prendre deux ou trois heures).

Beaucoup refusent aussi de parler parce qu’ils ne sont pas autorisés à le faire. Et même si nous sommes un site associatif, les organisations préfèrent limiter la « prise de risque ». Sur internet, elles ne sont jamais à l’abri d’un « bad buzz » : une déclaration qui provoque des problèmes ensuite, et qui serait reprise sur plusieurs médias ou sur les réseaux sociaux. Dans le doute, beaucoup s’abstiennent de tout commentaire. Même sur des sujets aussi anodins que : « Comment est organisée la COP 21 ? »

Le rôle du journaliste est d’insister, parfois de déranger. Sans ça, nous ne pourrions pas produire les journaux, écrire des articles, trouver l’information. Et puis, parfois, les gens qui refusent de parler sont les premiers à se plaindre pour dire ensuite qu’on aurait dû leur demander leur avis. Poser des questions, cela paraît simple comme cela… c’est en fait tout un métier. Pour nous, c’est notre passion, que nous avons beaucoup apprécié de partager avec les globe-reporters du monde entier pendant 15 jours. Merci de nous avoir suivis !

Élodie

Anne-Cécile Bras à la COP 21

Sources sonores

  • La journaliste Anne-Cécile Bras interrogée à la veille de la signature de l’accord