Carnet de route
Cher-e-s globe-reporters,
Merci àux globe-reporters Madeleine, Louise, Sophie, Gabriel, Camille et Margot du collège Notre Dame de Sion à Paris 6e de m’avoir mis, malgré eux, sur la piste de Monsieur Griffon ! Alors que je recueille les réponses aux questions qu’on m’a demandé de poser au conservateur du musée du fortin de Boké au sujet de la traite négrière, celui-ci glisse entre deux phrases qu’il existe non loin de Boké, dans le village de Katougouma, les restes d’un cimetière de " blancs " sis sur les bords du Rio Nuñez.
Comme il est encore tôt et que j’ai terminé mon programme pour la journée, je demande à Alpha Oumar, mon compagnon de voyage de nous emmener là-bas. Mamadou Bailo TRAORÉ, le conservateur du musée, nous assure avant le départ que la route pour y aller est d’excellente qualité, comme c’est souvent le cas en Afrique quand elle permet d’accéder à une exploitation minière ou à un port. Les infrastructures routières et l’électrification dépendent non pas des densités de population, mais des richesses du sous-sol lesquelles sont le plus souvent destinées à l’exportation. C’est vrai en Guinée et tout particulièrement à Katougouma où une entreprise chinoise a construit un port minéralier pour exporter de la bauxite.
Muni du GPS de mon téléphone, je guide Alpha Oumar en direction de la rive droite du Rio Nunez que nous atteignons une fois traversé un vieux pont de fer. La route, en effet, est dans un parfait état. Bientôt nous traversons une voie de chemin de fer, elle n’est pas destinée au transport de passagers (il n’en existe pas en Guinée) mais à l’acheminement du minerai de son lieu d’extraction jusqu’au port. La construction de ces routes et autres voies entraîne de nombreuses expropriations et conduit, entre autres causes, à la déforestation de la région de Boké.
La route dont la construction est inachevée se transforme en piste de latérite, cette terre rouge typique de l’Afrique de l’ouest dont la poussière s’insinue partout. Comme je l’apprendrai le lendemain grâce à Basil, Renzo, Amélie et Sophie du collège Seligmann à Paris 10e qui m’ont demandé de rencontrer un paysan, cette poussière qui se dépose dans les champs des cultivateurs altère le rendement des récoltes. Pour remédier à cela, les entreprises minières arrosent la piste au moyen d’un camion-citerne qui va et vient nuit et jour parmi le trafic incessant de centaines de camions aux carrosseries rougies par une épaisse couche de latérite séchée. Ce même paysan me dira qu’avec ce procédé, l’eau commence à manquer pour l’agriculture.
Arrivés à Katougouma, nous stoppons à l’entrée du port dont l’accès nous est interdit. Tout autour, les ouvriers venus de tout le pays ont construit leur campement tant bien que mal, ils vivent dans des abris de tôle et de bois, protégés des intempéries par des bâches de plastique ou des branches de palmiers au milieu de dizaines d’ateliers mécaniques à ciel ouvert où l’on rafistole les camions éprouvés par la piste. Cette ruée vers la mine donne à Katougouma des airs de Far West.
Nous peinons à trouver la direction du village historique, le village d’avant la mine. Les personnes à qui nous demandons notre chemin ne sont pas d’ici, venues de loin en quête d’un emploi. Après quelques détours, nous débouchons sur le vieil embarcadère de l’ancien port négrier. Il domine le Rio Nuñez qui est large à ce niveau, la mer n’est plus loin. Une pirogue qui fait office de bac entre les deux rives débarque ses passagers et leurs marchandises à notre arrivée. Sur le perron d’une case qui domine le tout, un homme se tient immobile et observe la scène. Il se présente sous le nom d’Abdoulaye Bangoura et fait profession de chauffeur, d’agriculteur et de menuisier. D’office, je lui demande : " savez-vous où se trouve le cimetière des Européens ? "
Abdoulaye nous emmène dans les herbes hautes, à travers les manguiers, fromagers et baobabs qui dominent le fleuve. Je l’interroge sur la construction récente du port minéralier. Il me dit que sa présence profite peu à sa communauté. Un dispensaire médical a été construit en compensation ainsi qu’une école dont il me dit qu’elle ne prodigue pas un enseignement de qualité, qu’en résumé la création de richesse dans sa région n’a guère amélioré sa vie ni celle de ses compatriotes.
À mesure que nous avançons, je découvre ça et là des morceaux de pierres tombales éparpillés quand soudain apparaît une tombe blanche dont je peine à déchiffrer les inscriptions rongées par le temps. Je comprends qu’ici repose depuis le 3 ou le 5 janvier 1865 un dénommé monsieur Gaspard (?) Griffon. L’épitaphe est précédée d’un "à mon ami". Immédiatement, je téléphone à Mamadou Bailo TRAORÉ, le conservateur du musée du fortin de Boké pour lui faire part de ma découverte. Malheureusement, M. Griffon ne lui dit rien. Je tape les occurrences "Griffon - Katougouma" et "Griffon - Guinée" sur google, sans succès non plus.
Qui était ce Monsieur Griffon ? Qui était son ami qui lui offert cette solide sépulture qui résiste à la traversée des âges ? Que faisait-il ici au milieu du XIXe siècle loin de son pays ? Faisait-il le commerce des hommes ? De l’hévéa ? Comment sa vie dans ce village était-elle rythmée ? Quel était son rapport avec les autochtones ? Avait-il une femme ? des enfants ? Je me pose encore ces questions et beaucoup d’autres alors que je vous écris ces lignes.
Peu m’importe si je n’y trouve pas de suite de réponses. La découverte de sa tombe ouvre tout un pan de mon imaginaire qui foisonne d’hypothèses sur la façon dont se déroulait la traite négrière dans un petit village des bords du Rio Nuñez qui fut une escale majeure dans le commerce triangulaire. La tombe de Monsieur Griffon est aussi un bon prétexte pour venir jusqu’ici et découvrir les conséquences de l’industrie minière pour l’environnement et les populations locales. Comme aiment souvent dire les voyageurs, le chemin que l’on parcourt importe souvent davantage que le but que l’on atteint.
Je stoppe ici ce chapitre de mon carnet de route. Libre à celles et ceux qui le souhaitent d’imaginer une suite, de se libérer des contraintes du journaliste pour laisser courir leur imagination comme un écrivain ou un scénariste.
Amicalement et confraternellement,
Raphaël, votre envoyé spécial.
Sources photographiques
Mamadou Bailo TRAORÉ, conservateur du musée du fortin de Boké avec un de ses petit-fils.
La route devenue piste de latérite en direction de Katougouma.
Le chemin de fer qui achemine le minerai de bauxite de son lieu d’extraction au port minéralier de Katougouma.
Alpha Oumar peine à y voir clair sur la piste de latérite.
Alpha Oumar nettoie le pare-brise de la voiture le long de la piste.
Des airs de Far West à Katougouma.
Dans cette atmosphère de poussière rougeâtre, les plantes meurent et les mécaniques tombent en panne.
L’ancien embarcadère négrier de Katougouma sur le Rio Nuñez.
L’ancien embarcadère négrier de Katougouma sur le Rio Nuñez.
Abdoulaye BANGOURA, notre guide à Katougouma.
La tombe de Monsieur Griffon.
Carte ancienne du Rio Nuñez, collection du musée du fortin de Boké.