Incroyable ! Il existe un musée dans le camp de Chatila de Beyrouth. Inès et Mohamed, globe-reporters du collège Citroën de Paris, interrogent son fondateur, Mohamed KHATIB.
Solidarités et Droits humains
Les Syriens ne sont pas les premiers à trouver refuge au Liban. Au milieu du XXème siècle, le conflit israélo-arabe de 1948-1949, pousse vers l’éxil environ 700 000 Palestiniens. Beaucoup s’installent à Beyrouth et c’est la naissance du camp de Chatilla.
De nos jours, le camp est devenu un quartier de la capitale libanaise et les Palestiniens ne sont plus les seuls à y habiter. Les globe-reporters apprennent via Internet qu’il y existe un musée qu’on ne trouve pas dans les guides touristiques sur le Liban. Ils décident d’interroger son fondateur, Mohamed KHATIB.
Mohamed a plus de 70 ans. S’il se dit affaibli, il raconte qu’il aimerait en faire encore plus et dit avoir beaucoup d’idées à mettre en œuvre. « C’est rester à la maison qui me fatigue », dit-il en riant.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Mohammed KHATIB. Je suis médecin de profession. Je suis Palestinien et Libanais. Je suis arrivé au Liban à l’âge de six mois avec ma famille en 1948 après avoir été expulsé par la force de notre village. À Chatila, j’ai ouvert ce musée qui est un témoignage de la manière de vivre des Palestiniens avant 1948. Ces pièces exposées représentent une mémoire, une nostalgie même si ce sont des objets du quotidien qui n’ont pas de valeur marchande. Elles ont une valeur émotionnelle et historique.
Expliquez-nous ce qu’est Chatila ?
Chatila est un camp qui a été construit au début des années 1950. Au début, il n’y avait que des tentes. Il y faisait chaud l’été et très froid l’hiver. Les gens ont vécu dans ces conditions jusqu’en 1970 quand la résistance palestinienne est venue et a commencé à construire des habitations. Le camp a toujours été surpeuplé. Dans les années 1990, le gouvernement libanais a autorisé la construction des immeubles que nous voyons aujourd’hui.
Aujourd’hui, Chatila est comme tous les autres quartiers. Vous y trouvez un peu tous les métiers.
Quand avez-vous ouvert le musée ?
L’inauguration s’est déroulée en avril 2005. J’ai commencé à réunir la collection en décembre 2014. En 4 mois, j’ai collecté la majorité des pièces exposées.
Pourquoi avez-vous eu l’idée d’ouvrir ce musée à Chatila ?
J’ai remarqué que les envahisseurs de nos terres ont commencé à voler notre identité, notre mémoire. Je me suis dit : « ils ont volé notre terre et maintenant ils veulent voler notre héritage ? Que faire ? » Je me suis rappelé que les personnes âgées avaient emporté des objets de Palestine avec eux. J’ai demandé à tout le monde. Je me rappelle d’une vieille femme qui m’a répondu : « Oui, mais pourquoi me posez-vous cette question ? ». J’ai expliqué mon idée et, à ma grande surprise, le lendemain elle a apporté deux objets. J’ai voulu lui donner de l’argent. Elle m’a dit : « Vous devriez avoir honte. La Palestine ne vous appartient pas. Ce n’est pas pour vous, mais pour le musée ». Cette femme m’a donné le courage d’aller demander à d’autres personnes des objets pour la collection.
Pourquoi les gens vous ont fait confiance ?
J’ai été médecin dans le camp. Les gens me connaissent depuis plus de 40 ans. Ils savent que je suis honnête, que je les respecte et ils me font confiance. Sans cette confiance, ils ne m’auraient rien donné.
Que pensent les donateurs de ce musée ?
Ils sont très contents. Je vais vous raconter l’histoire de cette machine à moudre le café. Quelqu’un m’a dit qu’une personne l’a possédait. Je suis allé la voir. La personne a refusé à deux reprises de me la donner. Je l’ai invité avec sa famille à voir le musée pour montrer ce que je faisais. Cet homme m’a dit que la propriétaire était au Danemark. Je l’ai appelée par téléphone. Je lui ai tout expliqué. Elle a accepté immédiatement.
J’ai quitté Beyrouth pendant 3 ans. Avant de partir, j’ai fait une étiquette pour chaque pièce avec le nom du propriétaire et la date du don. Avec l’humidité du lieu, beaucoup de ces étiquettes ont été détruites. J’ai aussi perdu plus de 300 pièces à cause de l’humidité. Le musée n’est pas adapté pour conserver ces pièces, mais c’est le seul endroit que j’ai.
Qui sont les visiteurs du musée ?
Beaucoup sont des enfants et ils sont surpris par les objets. Je dois leur expliquer à quoi cela servait. Il y a aussi des journalistes qui viennent. J’ai reçu des journalistes de plusieurs pays, même du Japon. Les écoles du camp ou hors du camp ne viennent pas même si je les ai invités à plusieurs reprises.
Est-ce que vous allez dans les écoles pour témoigner auprès des élèves ?
Non. Les jeunes doivent venir après l’école ou pendant les vacances ?
Y a-t-il des horaires d’ouverture comme dans les autres musées ?
Non. Je suis à la retraite. Mon frère travaille. En général, nous ouvrons à 18h00. Mais si quelqu’un veut venir, nous organisons un rendez-vous comme avec vous. Mon téléphone est écrit à côté de la porte d’entrée.
Dans un article, vous dites que vous voulez « montrer aux jeunes qu’ils ont une culture et un patrimoine d’où ils doivent puiser fierté et dignité ». Les jeunes qui vivent au camp l’ont-ils, à votre avis, compris ?
On a voulu faire croire au monde que la terre où nous vivions n’était pas habitée. C’est faux. Nous voulons apprendre aux jeunes générations que tout cela est faux. Que leurs grands-parents avaient tout cela, dans leur village, en Palestine. C’est très important pour moi. On nous a volé notre terre par la force. Nous devons protéger notre patrimoine. Si nous ne faisons rien, ils vont aussi nous voler notre culture. Le gouvernement d’Israël veut récrire l’histoire. Il me ment, il vous ment. Il ment à tout le monde.
Pensez-vous publier un livre de votre collection ?
C’est une très bonne idée et vous n’êtes pas les premiers à me poser ces questions. Pour ce faire, il faudrait un expert. Moi, je ne suis pas un expert de ces objets. Et il me faudrait de l’argent. Il y a donc deux problèmes ; l’absence d’experts et le budget de publication.
Je n’aime pas l’idée de faire un site Internet. Cela pourrait attirer les voleurs. Il y a des gens qui disent vouloir m’aider, mais je me méfie.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre musée ?
Le musée est séparé en 6 divisions. La première partie est consacrée aux objets utilisés pour l’agriculture en Palestine. La seconde partie, ce sont les objets de la maison. La troisième est consacrée aux pièces du diwan. Dans chaque village, il y a un diwan. Quand quelqu’un arrive de la ville, il peut trouver refuge chez le diwan. Ce peut être le maire, un homme riche, etc… C’est une tradition d’accueillir un étranger sans demander son nom. On lui offre le lit et le manger. C’est aussi un lieu où le village résolvait ses problèmes comme chez un juge.
La quatrième division est celle qui regroupe des objets divers. La cinquième, ce sont des objets de décoration. Il n’y en a pas beaucoup. La sixième section est une bibliothèque.
En tout, il y a 650 pièces. J’en avais un millier avant que certaines soient détruites par l’humidité. J’ai 200 pièces de plus dans ma maison. Je les ai prise pour mieux les protéger.
Quelles difficultés avez-vous avec ce musée ?
Il faudrait pouvoir raconter des choses à propos de ces objets et éditer un catalogue pour les jeunes. Je n’ai personne qui puisse m’aider. Il faudrait pouvoir payer une personne, mais je n’ai pas d’argent. Je n’ai aucune aide. Il faut quand même que je dise que 3 amis m’ont donné 200 dollars chacun. C’est tout ce que j’ai reçu en 10 ans. C’est ridicule.
Pour visiter, faut-il payer ?
Non. C’est gratuit.
Pourquoi ne vendez-vous pas des pièces pour avoir de l’argent ?
Pour rien au monde. C’est notre patrimoine en tant que Palestinien. Cela ne se vend pas.
Avez-vous quelque chose à ajouter pour les globe-reporters ?
Chatila est un quartier où vivent des réfugiés de Palestine. Ces gens sont pauvres, mais ils possèdent une culture et ce musée lui rend hommage. Je vous conseille de défendre votre pays et de prendre soin de votre patrimoine. Je pense à tous les hommes et toutes les femmes du monde. Respectez les cultures des autres comme je respecte votre culture.
Je crois que chacun devrait se poser la question : « qu’est-ce que j’ai fait pour mon pays ? ».
Mohamed écrit aussi des pièces de théâtre qu’il joue gratuitement devant les gens pour éveiller les consciences.
Un entretien réalisé en janvier 2016 et actualisée en janvier 2021
Sources photographiques
Mohamed KHATIB, le créateur du musée de Chatila © Globe Reporters
La section des objets agricoles © Globe Reporters
Les objets de la maison © Globe Reporters
Objets de culte et de décoration © Globe Reporters
Environ 650 pièces dans une seule pièce de 60m2 © Globe Reporters
Faute de bonnes conditions de conservation, 350 pièces ont été détruites © Globe Reporters
Un moulin à café, l’une des première pièce du musée © Globe Reporters
Un bateau construit à la main © Globe Reporters
Les étiquettes indiquent le propriétaire qui a fait une donation au musée © Globe Reporters
Chaque objet a une longue histoire qu’il est impossible de raconter © Globe Reporters
L’espace bibliothèque © Globe Reporters
Les fameuses clés des maisons qu’il a fallu quitter sous la force © Globe Reporters
La maquette de la maison abandonnée par la famille en 1948 © Globe Reporters
Une autre maison dont il a fallu partir © Globe Reporters
Une carte de la Palestine qui ne reconnait pas l’Etat d’Israel © Globe Reporters
Une vieille radio © Globe Reporters
Mohamed cherche quelque chose. Pas facile car c’est un musée un peu fouillis © Globe Reporters
Avant de partir, il faut vider le récipient qui receuille l’eau de pluie. Le musée situé à un rez de chaussée est très humide © Globe Reporters
Une petite donation pour aider M KHATIB et son musée © Globe Reporters
Il a fallu faire la visite dans le noir car l’électricité est coupée plusieurs heures par jour à Chatila © Globe Reporters
A Chatilla, on vit les uns sur les autres. Fils électriques dans l’immeuble qui abrite le musée © Globe Reporters
Un jeune voisin du musée © Globe Reporters
M KHATIB ferme le musée à clef en partant © Globe Reporters
La porte d’entrée du musée du souvenir de Chatila © Globe Reporters
Contents de retrouver la lumière du jour © Globe Reporters
A Chatilla, une immense clef sur le chateau d’eau rappelle les maisons qu’il a fallu abandonner © Globe Reporters