Abdel Rahman el Katanani est un artiste palestinien qui a grandi dans le camp de Sabra, à Beyrouth. Il répond aux questions d’Émilie et de Kanoushika, des globe-reporters du collège André Citroën de Paris.
Culture et francophonie
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Abdel Rahman el Katanani. Je suis un artiste palestinien, j’habite au camp de Sabra, à Beyrouth. Je suis né là. Je travaille avec les matériaux trouvés dans les camps de réfugiés, comme les camps de réfugiés palestiniens. J’utilise tous les matériaux qu’on trouve dans la rue, les poubelles : la tôle ondulée, le fil barbelé, les vêtements, le plastique...
Des jeunes vous ont désigné comme coordonnateur d’un projet culturel qui vise à embellir les murs de Chatila. Où en est ce projet ?
C’est un projet qui date de 2004. J’avais à l’époque 21 ans, j’étais caricaturiste et graphiste. Je travaillais avec des Palestiniens qui peignaient les murs. On a fait un grand projet : près de 90 murs ont été peints à Chatila. Depuis, quelques murs sont restés, mais le camp change toujours, car il y a de nouvelles constructions qui dépendent des arrivées de réfugiés. Et depuis 2004, il y a eu plusieurs arrivées de réfugiés : des Irakiens, des Palestiniens d’Irak, des Syriens, des Palestiniens de Syrie... Beaucoup de murs ont donc disparu.
Deux clubs de jeunes et deux clubs sportifs ont participé à cet événement. On a financé ce projet en collectant de l’argent auprès des familles palestiniennes dans les camps de réfugiés. On était un grand groupe qui voulait changer un peu la vie de galère dans les camps de réfugiés.
Quel souvenir gardez-vous de ce projet ?
La solidarité entre les jeunes, l’initiative, la motivation de changer les choses. On a travaillé pendant trois mois, l’été. C’était super émouvant, parce qu’on a travaillé juste pour le changement, pas pour l’argent. Ni moi ni les gens qui ont travaillé pendant trois mois n’avons gagné d’argent. Au contraire, on en a dépensé pour acheter du matériel.
Ce projet n’a pas été reconduit, depuis ?
Jusqu’à 2007, j’ai fait plusieurs projets de peinture murale dans les camps de réfugiés. Après, quand j’ai commencé à travailler avec les matériaux recyclés, j’ai continué à travailler avec les enfants. Jusqu’à 2010-2012, j’ai travaillé avec les enfants de Sabra, avec les meubles de Gaza, qui était à l’époque un hôpital. Maintenant c’est un lieu de refuge pour 400 familles palestiniennes.
Il y a beaucoup d’initiatives maintenant, dans les camps. En décembre encore, je faisais un petit graffiti avec les enfants dans un petit jardin.
Enseignez-vous ?
Avec les enfants, je joue, en fait. Je prends des photos, puis je réalise sur une toile ou une installation avec des matériaux. J’ai travaillé sur le sujet des enfants qui jouent dans les camps de réfugiés pendant deux ou trois ans. Avec de la tole ondulée, je réalisais des oeuvres qui figuraient le moment où les enfants créaient leur jeu. C’était un moment d’évasion pour les enfants. Parce qu’ils jouent dans les petites ruelles des camps de réfugiés, désorganisées, où il y a pleins de fils électriques, de poubelles... Ils s’évadaient psychologiquement. C’est ça le plus important pour nous, c’est la liberté en fait. Ces enfants sont nés dans les camps de réfugiés, comme moi, et le pouvoir de changement, la liberté personnelle, pour moi c’est plus important que de parler de la libération de la Palestine. Si on change personnellement, on a l’opportunité de changer notre vie.
Donc vous n’enseignez pas dans un centre culturel ou une école ?
Non, je travaille dans la rue, c’est plutôt spontané. Beaucoup d’enfants savent que je fais des choses artistiques, ou bizarres (ce qui est la même chose dans les camps de réfugiés). Chaque fois que je fais quelque chose, ils viennent voir. Et ça depuis longtemps, depuis les premières caricatures scotchées sur les murs du camp. Ce que j’ai fait sur eux, ils l’ont trouvé un peu bizarre, mais intéressant. Ils se sont reconnus, en train de jouer, de faire du foot, les fils... C’est très intéressant d’avoir une discussion avec les enfants ou les gens là-bas. C’est constructif, car les idées viennent toujours du lieu et pour moi, là-bas, c’est un lieu d’inspiration.
Vous avez été invité à participer au festival « Kosmopolite » dans le cadre d’une coopération entre la ville de Bagnolet et le camp de Chatila. Pouvez-vous nous en parler ?
C’était en 2005, il y a presque 11 ans. J’étais caricaturiste à ce moment-là. Un groupe de Français est venu dans le camp de Chatila dans le cadre d’un jumelage. J’ai été invité à participer. J’étais un peu étonné par les techniques car on n’avait jamais utilisé les bombes, c’était toujours les pinceaux, l’acrylique. La bombe, c’était la première fois. C’était une expérience super sympa pendant un mois, à Bagnolet, avec les graffitis, l’art de la rue.
Quand je suis revenu à Chatila, j’ai commencé à faire des graffitis, à utiliser un peu la bombe. Mais chez nous, les bombes sont de mauvaise qualité, elles ne sont pas spécifiques pour les graffitis.
C’était la première que vous alliez en France ?
C’était la première fois. J’ai visité le Louvre, le centre Pompidou, le musée d’Orsay... Mais le plus important pour moi, c’était l’art de la rue.
Aviez-vous l’habitude de voyager à cette époque ?
C’était la première fois que je voyageais tout court. Puis je suis allé en Malaisie en 2008, et j’ai commencé à voyager.
Quelles ont été vos impressions sur la France, lors de ce premier voyage ?
Je ne pensais même pas que j’allais un jour voyager, que j’allais sortir du Liban, car notre situation en tant que réfugiés palestiniens est un peu difficile : on n’a pas de passeport, juste un document de voyage.
J’étais très content d’être invité par la ville. J’étais accompagné par des amis qui m’ont montré des choses artistiques, populaires. J’ouvrais les yeux en grand, pour en voir le plus possible. Je pensais que ça serait la première et dernière fois que je voyagerais. Je profitais de tous les détails.
Puis j’ai de nouveau été invité en 2006. Je me suis attaché un peu plus à la France, car entre 2005 et 2006, j’ai commencé à apprendre un peu le français à l’Institut français. Mais j’ai commencé avec le français dans la rue, avec l’argot !
Comment s’est passé le retour au camp de Sabra ?
Les gens me disaient : "T’es fou ! T’as pu sortir du camp, et tu reviens ?". J’ai répondu qu’en tant qu’artiste de rue, en tant qu’activiste, j’ai un message à faire passer de la part des Palestiniens, des réfugiés. Si j’avais fui, ça n’aurait pas été honnête. Il ne faut pas abandonner ses responsabilités.
Vous dites que votre inspiration vient des souffrances vécues. Certaines de vos œuvres évoquent-elles aussi l’espoir d’une vie meilleure ?
Avant, j’exprimais la souffrance, puis j’ai exprimé aussi la joie et l’espoir. L’espoir de sortir, d’être libre, c’est le plus important. C’est aussi mon expérience que j’exprime dans mon art.
C’est facile d’avoir de l’espoir, quand on voit ce qui se passe autour, les pays en guerre, etc.?
Pas du tout. On cherche toujours l’espoir, dans la politique, la vie quotidienne, à travers les initiatives dans les camps... On trouve des petites lueurs d’espoir dans les camps de réfugiés. Certains disent qu’elles vont s’éteindre, mais pour moi, s’il y a une petite chose, elle va peut-être grandir. Mon expérience m’a montré que l’espoir vient davantage des petites choses réelles que des grandes choses imaginaires.
Vous rentrez tout juste de Nanterre, qu’est-ce que vous êtes allé y faire ?
J’étais invité par la ville, pour une exposition qui s’appelle "le sens de la peine" et qui rassemble treize artistes internationaux. J’ai travaillé sur une installation : une petite forêt d’oliviers, de 15 mètres sur 3. Je suis resté sur place un mois et cinq jours pour finir l’installation. C’était un travail formidable avec la ville, les artistes, les gens de Nanterre. J’en ai rencontré beaucoup, parce que je travaillais dans la vitrine de la Terrasse et plein de monde passait devant moi. Ils s’arrêtaient, me posaient des questions...
L’installation consiste en une branche d’oliviers morte, avec des fils barbelés qui forment un petit olivier. Les barbelés représentent l’occupation et en même temps notre enfermement psychologique, en tant qu’individus, et aussi l’enfermement dans les camps de réfugiés. L’olivier représente l’arbre de la paix, de la libération. Ce sont aussi nos racines palestiniennes, car il existe là bas depuis plus de 2000 ans.
Maintenant que vous commencer à exposer, à voyager, à gagner plus d’argent... pourquoi restez-vous vivre dans les camps de réfugiés ?
Parce qu’on n’a pas le droit d’être propriétaires au Liban. Ca pose un grand problème. Si je veux acheter un appartement ou une maison à l’extérieur, il faut que je fasse l’enregistrement avec un nom libanais, celui d’un ami par exemple. Ce n’est pas juste. Chatila existe depuis 1948, mais le gouvernement délaisse ce lieu, tout comme les autres camps de réfugiés au Liban. Maintenant on a un peu plus de droits qu’avant, on peut sortir un peu dans Beyrouth. Mais on reste bloqués.
Sources photographiques
Abdel Rahman el Katanani devant la galerie qui expose ses œuvres à Beyrouth, dans le quartier de Hamra.
Abdel Rahman el Katanani devant la galerie qui expose ses œuvres à Beyrouth, dans le quartier de Hamra.
Nu sur de la tôle ondulée. Une oeuvre réalisée lors d’une résidence à la Cité internationale des Arts, à Paris. Elle appartient à une série sur l’amour dans les camps de réfugiés. « Le nu est une beauté absente des camps de réfugiés car les appartements sont petits et proches. On ne peut pas se balader nu chez soi. Si on pose la question de la liberté, il faut déjà être libre avec son corps », raconte Abdel.
Olivier en fil barbelé. « J’interroge l’action de l’armée israélienne qui détruit les oliviers en Palestine. Pour nous, c’est un autre combat. Les oliviers représentent nos racines », explique Abdel.
Toutes les œuvres d’Abdel portent un sens. « Faire de l’abstrait quand on vit dans un camp de réfugiés n’a pas de sens pour moi. Une œuvre doit être politique. Il doit y avoir un message. J’ai longtemps été un artiste militant de la cause palestinienne. Aujourd’hui, j’ai pris de la distance face à mon engagement. Mes œuvres parlent de valeurs universelles de l’humanité. Il n’y a pas que les Palestiniens qui sont réfugiés. Il y a des réfugiés dans le monde entier. »
« Dans les camps de réfugiés, tout a une relation avec la cause palestinienne. Tous les dessins d’enfants doivent porter le drapeau palestinien, parler de l’intifada et utiliser des symboles révolutionnaires. Aujourd’hui, je pense qu’il faut séparer les choses et les laisser dessiner autre chose. Il faut changer le système d’éducation. Voyager m’a ouvert les idées et j’ai évolué. Il y a de plus en plus d’artistes palestiniens qui font la part des choses. »
Œuvre représentant un enfant qui joue sur une branche d’olivier.
Sources sonores