Philippe Cury est un scientifique français qui a développé ses recherches dans le domaine de la biologie océanographique. Il est directeur de recherche à l’IRD et répond aux globe-reporters de l’école Anne-Hébert de Vancouver, au Canada, et à ceux du collège forain François Verdier de Léguevin, en France.
La biodiversité dans tous ses états
Question : Pourquoi y a t-il des animaux des océans qui changent d’endroit ?
Les animaux changent d’endroit car comme tous les animaux ils doivent s’alimenter et trouver leurs proies qui elles aussi se déplacent (seuls les végétaux peuvent rester sur place car ils trouvent leurs aliments dans la terre et l’énergie du soleil et n’ont donc pas besoin de se déplacer). De plus les conditions environnementales changent et les animaux ont des préférences (températures notamment) et doivent en permanence les rechercher dans leur environnement.
Question : Pourquoi y a t-il des espèces en voie de disparition ?
Beaucoup d’espèces terrestres et océaniques disparaissent parce qu’elles sont surexploitées et décimées. Dans les océans, l’exploitation des poissons est devenue mondiale et extrêmement importante. Les populations d’animaux diminuent en abondance à des niveaux qui ne permettent pas aux populations de se renouveler. Par exemple, les populations de requins en Méditerranée ont diminué de 99%, c’est-à-dire que si autrefois il y avait 100 requins, aujourd’hui il n’y en a plus qu’un seul qui a bien du mal à se reproduire ! La surexploitation est le principal facteur, avec la destruction des habitats, de la disparition des espèces.
Question : Voyez-vous une évolution entre aujourd’hui et le début de votre carrière ?
Oui l’évolution récente est incroyable : j’ai commencé ma carrière au Sénégal à travailler sur les pêcheries de mérous. A l’époque il y avait 3000 pirogues qui prenaient 5000 tonnes de mérous. Aujourd’hui, il y a 12000 pirogues et les captures se sont effondrés à quelques 50 tonnes. Les écosystèmes marins ont complètement changé au cours de ces 50 dernières années et il faut gérer les pêches si l’on veut préserver la productivité des océans, notamment en poissons.
Question : Les chercheurs de UBC (University of British Columbia) ont récemment publié une étude qui annonce la disparition progressive, d’ici 2050, de certaines espèces de saumons en Colombie-Britannique, un phénomène dû à l’augmentation de l’acidité des eaux douces et des eaux du Pacifique, conséquence des émissions de gaz à effet de serre. Quelles mesures peut prendre ou a déjà prises le gouvernement canadien ? (Les études montrent que le nombre de saumon qui retournent pondre leurs œufs dans les fleuves et les rivières diminue de plus en plus et qu’en 2050, il y aura une baisse de 21% du saumon sockeye en C.-B).
Les saumons qui remontent de la mer en rivière sont particulièrement sensibles aux fluctuations de l’environnement marin et des rivières. L’acidification du milieu marin est un problème très sérieux qui affecte ou va affecter toutes les ressources car c’est un paramètre qui n’avait pas bougé depuis des milliers d’années et qui, brutalement, à cause du changement climatique (et du CO2 qui se dissout dans les océans), est en train de changer. La vie marine n’avait pas prévue ce bouleversement et ne peut pas s’adapter mais uniquement se transformer. De nombreuses espèces depuis le plancton jusqu’aux vertébrés marins vont beaucoup souffrir de ces changements d’acidités dans les océans.
Question : Depuis des années, la Colombie-Britannique a pris des initiatives fortes pour lutter contre le réchauffement climatique, notamment la taxe sur le carbone. Pourtant les seuils de pollution sont encore assez élevés, au point de mettre en danger des espèces telles que les saumons. Quels leviers, ou marges de manœuvre, a le gouvernement canadien pour continuer à faire baisser les émissions des gaz à effet de serre dans cette province ?
Le problème du réchauffement climatique est un problème mondial et doit être traité en tant que tel. C’est pour cela que 195 pays se réunissent actuellement à la COP21, pour tenter de limiter les émissions des gaz à effet de serre qui sont en train de modifier notre climat.
Question : Avec cette baisse du nombre de saumons en Colombie-Britannique, d’autres espèces sont aussi menacées, comme les ours, les aigles, les loups, les coyotes, etc. Que faire pour sauver ces espèces qui seront impactées à cause de la perte de leur source de nourriture principale ?
Il faut préserver l’ensemble des espèces des écosystèmes, pas seulement les saumons, mais toutes les espèces, car il faut maintenir les interactions entre les espèces qui ont besoin l’une de l’autre (pour l’alimentation notamment). Les écosystèmes, c’est comme un château de cartes : si on en retire une, tout s’effondre.
Question : Est-il possible d’aider les pêcheurs et les Autochtones de la C.-B., dont la vie et les traditions dépendent de la survie de ce poisson ?
Oui, il existe des subventions qui peuvent aider les pêcheurs et trouver des solutions d’emplois alternatives vers d’autres ressources ou d’autres secteurs. De plus, il faut privilégier les pêches autochtones par rapport aux autres types de pêche.
Question : A quoi sert votre métier ?
Il faut comprendre le fonctionnement des océans si l’on veut les préserver et conserver leur productivité en poissons notamment. La recherche permet d’observer, de quantifier et de comprendre mais également de proposer des solutions viables pour une gestion durable des ressources marines. Seule la recherche permet d’évaluer correctement nos actions.