Voici notre envoyé spécial parti sur la traces des éléphants de la forêt de Ziama. A Conakry, on lui a dit "Ces éléphants sont un mythe". Qu’en est-il vraiment ?
Carnet de route
Cher(e)s globe-reporter,
Je vous écris alors que le Sergent-chef Pevé GOEPOGUI, chef de poste du centre forestier de Sibata, vient de nous intimer l’ordre de nous arrêter et de nous taire. Nous sommes depuis plus d’une heure en pleine jungle sur la piste des éléphants de Ziama et les traces que nous venons de trouver sont fraîches de ce matin.
Carol et moi sommes arrivés vendredi soir à Sérédou, un gros bourg en bordure de la forêt classée de Ziama dont on dit qu’elle abrite encore quelques parcelles de forêt primaire c’est-à-dire de forêt vierge qui n’a jamais été détruite ou façonnée par l’homme.
Aujourd’hui, l’attention à Ziama est surtout portée sur les éléphants dont il ne resterait qu’une quinzaine d’individus selon le dernier recensement réalisé l’année dernière. Le commandant de la forêt classée que nous avons rencontré la veille affirme qu’il est impossible d’en déterminer le nombre exact puisque la forêt se situe à cheval sur les territoires de la Guinée et du Libéria et que les éléphants migrent de part et d’autre de la frontière.
L’éléphant que nous pistons est accompagné d’un plus petit qui aurait perdu sa mère selon le Sergent-chef Pevé GOEPOGUI. Son équipe est constituée de traqueurs aguerris qui relèvent mille et un signes du passage des deux éléphants : ici une bouse dont ils parviennent à déterminer la fraîcheur, là une branche cassée et bien sûr les énormes traces de pas laissées par l’éléphant et le plus petit qui l’accompagne.
Ce sont des éléphants de forêt, une des deux espèces avec l’éléphant de savane présentes en Afrique. Il se caractérise par une plus petite taille pour pouvoir évoluer dans le sous-bois tout comme ses défenses et ses oreilles. Ces dernières sont de forme plus arrondie que celles des éléphants de savane.
Passé un bas fond où nos jambes se sont enfoncées dans la boue jusqu’aux genoux nous avons trouvé un trou de deux mètres de large et d’un de profondeur où les éléphants s’étaient récemment barbouillés le cuir pour se rafraîchir et éloigner les insectes. Cette fois, c’est la boue laissée sur les feuilles et les troncs d’arbre qui nous indiquent le chemin à prendre. Les taons sont de plus en plus nombreux à tournoyer, ce serait le signe de la présence proche des éléphants selon un garde.
La forêt de Ziama où vivent ces éléphants s’étend sur près de 120 000 hectares. Elle a été reconnue Réserve de la biosphère par l’UNESCO en 1980. Près de quarante ans plus tard, la situation n’a jamais été aussi critique pour les éléphants. On en dénombrait une centaine en 1990 et plus de deux cents en 2004, conséquence de la guerre civile au Liberia voisin qui aura poussé les éléphants à migrer vers la Guinée. À partir de 2009, faute de fonds disponibles, la surveillance et la protection des éléphants s’interrompent et le braconnage reprend de plus belle tout autant que l’abattage par des paysans qui voient d’un mauvais œil ces pachydermes qui ravagent leurs cultures.
Carol et moi sommes pleins d’espoir de voir pour la première fois des éléphants sauvages. Alexis DRAMOU, l’un des six gardes qui nous accompagnent partage notre excitation : « Ce n’est pas seulement pour vous et les globe-reporters que je les traque, mais pour moi aussi, c’est une joie toujours renouvelée de les voir ». Nous reprenons la marche. Alexis avise dans une souche d’arbre une ruche d’abeilles sauvages tout récemment détruite. « Ils adorent le miel », nous dit-il, tout comme ces baies sauvages dont nous nous repaissons le temps d’une pause dans le sous-bois.
Après nous être frayé un passage à la machette parmi les lianes et les arbustes, nous débouchons sur un sentier de jungle que les éléphants empruntent parfois. L’équipe se divise pour tenter de retrouver leur piste. À leur retour, nous lisons l’embarras sur les visages et comprenons, Carol et moi, que les éléphants ont eu raison de notre obstination. Tristesse.
De retour à Sérédou qui est devenu notre camp de base, Carol et moi faisons le point à la terrasse d’un café fait de bric et de broc où nous avons nos habitudes : faut-il persévérer le lendemain dans la traque des éléphants alors que les chances de les voir sont minimes ? À Conakry, tous nos amis nous disent que les éléphants de Ziama sont un mythe. Nous avons pourtant vu les traces, les crottes, mais ces preuves n’ont pas la force persuasive que pourrait avoir la photographie en chair et en os d’un éléphant de forêt. Et je dois dire que j’éprouve à cet instant un sentiment d’échec vis-à-vis de mes rédacteurs en chef globe-reporters.
Nos cafés noirs avalés, nous partons à la rencontre d’Alan DEVEREL et de son collègue guinéen Toupou GOEGUAI, tous deux spécialistes des éléphants et membres de l’ONG Faune et Flore Internationale tout juste de retour d’un voyage au Libéria voisin. Première information qu’ils nous livrent, les éléphants existent bien, ils seraient au nombre de douze, côté guinéen, et une trentaine côté libérien. Les chiffres sont à prendre avec prudence, les derniers recensements, notamment au Libéria n’ont pas été faits avec tous les moyens nécessaires à une telle entreprise.
De suite nous les interrogeons sur la nature des deux éléphants que nous avons traqués pendant une bonne partie de la journée. « Nous pensions d’abord à une mère et son petit nous dit Alan jusqu’à ce qu’un jour quelqu’un nous apporte la photo du plus grand avec son sexe en érection. Nous pensons donc qu’il s’agit de deux frères dont la mère a très vraisemblablement été tuée par un braconnier ». Autre inconnue pour Alan, l’assurance avec laquelle ces deux éléphants vont au contact des hommes alors que les éléphants de forêt sont d’ordinaire très farouches ce qui rend leur observation difficile et délicate. Ils n’hésitent pas par exemple à charger s’ils se sentent menacés et plusieurs villageois de la région de Ziama, des braconniers également, en ont payé de leur vie.
Nous quittons les spécialistes pour retourner dans notre café habituel quand soudain le téléphone de Carol retentit ! Carol a eu le bon réflexe journalistique de laisser ses coordonnées aux gardes forestiers du poste du village de Sibata à partir duquel nous avions commencé notre traque des éléphants. « Ils sont là ! » s’écrit Gaston TOUARO, l’un des gardes au bout du fil.
Les éléphants se trouvent à l’endroit même où nous avons quitté la piste de jungle pour retrouver la route bitumée. Ils se tiennent à deux pas de la nationale, dans le sous-bois. Georges KALIVOGUI, le collègue de Gaston parle aux éléphants en langue toma : « Approchez-vous, n’ayez pas peur, ce sont des amis blancs qui veulent vous prendre en photo ». Forts de cet appel, Carol et moi nous approchons des éléphants. J’ai le micro dans une main et l’appareil photo dans l’autre. Après avoir reculé de quelques mètres, l’aîné gratte le sol de son énorme patte avant et me fonce dessus en barrissant. Je suis tiraillé entre l’envie de bien enregistrer le son de sa charge et surtout de son barrissement tout en prenant conscience du caractère précaire de ma situation face aux quatre tonnes de chair et de muscles qui me foncent dessus.
L’éléphant s’arrête puis avance et recule sur une distance de quelques mètres pour me signifier qu’il m’a à l’œil. Georges qui rit de la situation me dit que l’éléphant n’a pas l’habitude de voir des blancs et, plus sérieusement, que mon micro brandi vers lui a pu être perçu par le pachyderme comme une menace.
Les éléphants sont désormais sur la route. Les enfants du village situé à quelques centaines de mètres ont été alertés de leur présence et accourent jusqu’à eux. C’est la grande inquiétude d’Alan et Toupou de l’ONG Faune et Flore International : qu’un enfant se fasse attaquer ou que les braconniers profitent de la relative docilité de deux frères éléphants pour les abattre et leur soustraire leur ivoire.
Je termine ces lignes depuis Nzérékoré, la capitale de la Guinée forestière à la veille de prendre la route des Monts Nimba où, je l’espère, nous pourrons observer des chimpanzés.
Amicalement et confraternellement,
Raphaël, votre envoyé spécial en Guinée.
Sources photographiques
Découverte d’une première crotte d’éléphant par le sergent-chef Pevé Goepogui et son équipe de gardes forestiers.
A la recherche de traces fraîches.
La canopée de la forêt de Ziama.
Une trace de patte arrière d’éléphant
Le fruit du fromager dont raffole l’éléphant de forêt.
Les feuilles pleines de boue séchée laissée au passage de l’éléphant après s’en être barbouillé le corps près d’un bas-fond.
Un tronc recouvert de boue séchée laissée au passage de l’éléphant après s’en être barbouillé le corps près d’un bas-fond.
Trace de patte avant d’éléphant de forêt.
Les gardes forestiers profitent de la traque aux éléphants pour détruire les pièges laissés par les chasseurs en pleine forêt classée.
Une branche cassée à proximité d’autre traces indique le passage de l’éléphant.
Un morceau de ruche d’abeilles sauvages récemment visitée par les éléphants.
Reste d’igname sauvage mangé par les éléphants.
Les crottes découvertes sont de plus en plus fraîches.
Baies sauvages dont raffolent les éléphants de forêt.
Pause dans le sous-bois.
L’équipe de gardes forestiers avec, de gauche à droite : Sako ADAMA, Georges KALIVOGUI, Alexis DRAMOU, Gaston TOUARO, Noko GUILAVOGUI
« Les éléphants se trouvent à l’endroit même où nous avons quitté la piste de jungle pour retrouver la route bitumée. »
« Carol et moi nous approchons des éléphants. J’ai le micro dans une main et l’appareil photo dans l’autre. »
« Après avoir reculé de quelques mètres, l’aîné gratte le sol de son énorme patte avant et me fonce dessus en barrissant. »
« Georges KALIVOGUI, le collègue de Gaston parle aux éléphants en langue toma : « Approchez-vous, n’ayez pas peur, ce sont des amis blancs qui veulent vous prendre en photo. »
« L’éléphant s’arrête puis avance et recule sur une distance de quelques mètres pour me signifier qu’il m’a à l’œil. »
« Georges, qui rit de la situation, me dit que l’éléphant n’a pas l’habitude de voir des blancs et, plus sérieusement, que mon micro brandi vers lui a pu être perçu par le pachyderme comme une menace. »
« Ils se tiennent à deux pas de la nationale, dans le sous-bois. »
Les enfants du village accourent pour voir les éléphants.
« C’est la grande inquiétude d’Alan et Toupou de l’ONG Faune et Flore International : qu’un enfant se fasse attaquer ou que les braconniers profitent de la relative docilité de deux frères éléphants. »
Alan DEVEREL et son collègue guinéen Toupou GOEGUAIDE de l’ONG Faune et Flore International.