Notre envoyé spécial se lance à l’assaut du Mont Richard Mollard.
Carnet de route
Cher-e-s Globe-reporters,
La silhouette des arbres se détache sur fond d’un ciel encore parsemé de quelques étoiles, la jungle chante, grillonne, il est bientôt 6h du matin dans le village de Selinngbala. Nous avons réparti les vivres dans les sacs et sommes prêts à entamer les quatorze heures de marche qui nous attendent pour l’ascension aller et retour du Mont Richard Mollard, point culminant de la Guinée et de la chaîne des Monts Nimba.
Carol et moi sommes accompagnés de Bernard Doré, chasseur repenti devenu guide pour une association de défense de la nature ainsi que de Moribah, sous-directeur de la forêt classée de Nimba qui n’a, faute de moyens selon lui, jamais entrepris l’ascension de la montagne.
Nous avons à peine parcouru un kilomètre à travers les parcelles de caféiers et autres bananiers que nous sommes déjà ralentis par un premier passage à gué : il faut déchausser, et dans l’obscurité s’enfoncer dans une eau presque stagnante et sa vase, maintenir le matériel hors de l’eau, sécher ses pieds et repartir pour attaquer la montée d’une premières colline.
Nous cheminons dans les herbes folles derrière Bernard qui ouvre la voie à la machette. La pluie tombée pendant la nuit a mouillé la végétation et nous avons vite été trempés de la tête aux pieds, mon appareil photo rendu inutilisable par la buée sur son objectif. Après un départ sur les chapeaux de roue, Bernard a dû ralentir le rythme pour Carol qui n’a pas l’habitude de la marche. Il y a entre six et sept heures d’ascension et il faut gérer l’effort d’autant que l’approche du Mont Nimba est une succession de collines qu’il faut gravir sur un sentier à peine visible et souvent boueux, descendre en s’accrochant aux branches pour ne pas chuter.
Carole VALADE traverse ce qui devient le fleuve Yâ
Nouveau gué, un torrent cette fois. C’est le fleuve Yâ qui prend sa source en haut de la montagne et se jette dans l’océan Atlantique après avoir traversé le Libéria tout proche. Heureusement un tronc d’arbre d’un fort diamètre permet le passage à sec et sans risquer d’être emportés par les flots. De longs bâtons ont été laissés sur le bord du fleuve pour permettre de garder l’équilibre sur le bois rendu glissant par l’humidité. Nous passons chacun notre tour, sans encombre.
Nous marchons depuis près de quatre heures dans une végétation dense quand soudain, Bernard, notre guide qui ouvre la voie avec sa machette ordonne de s’arrêter. Carol et moi croyons à la présence d’un chimpanzé, d’un serpent ou, pourquoi pas ? d’une panthère ! Depuis le début de la randonnée, nous n’avons vu ou entendu pour seuls animaux que des insectes tournoyer autour de nous et le chant des oiseaux. L’animal est de bonne taille certes, mais ce n’est qu’un misérable escargot que Bernard avise avec sa machette. Gourmand, je lui demande :
–Ça se mange ?
–Oui, sauf dans ma famille, c’est notre animal totem.
Interloqué, j’allume mon enregistreur, sors mon micro pour interroger Bernard à ce sujet. Il m’explique qu’un jour, il y a très longtemps, une vieille dame du village de son clan n’était pas revenue de la forêt et que des centaines d’escargots s’étaient mis à la queue leu leu pour guider les villageois jusqu’à son corps sans vie. Depuis ce jour, le clan des Doré n’a plus mangé d’escargots malgré leur grande taille et leur air si appétissant. Plus tard, le réseau internet retrouvé, je trouverai un texte de l’ancien administrateur colonial Jacques Germain qui écrivait :
« Pour beaucoup de clans, en particulier pour ceux qui possèdent l’escargot comme totem, leur ancêtre serait mort seul dans la forêt et ses enfants auraient retrouvé son cadavre grâce à une file d’escargots allant du village au lieu du décès (clan Kono Lola). Il y a évidemment des variantes : le clan Manon Ma aurait été averti du décès de son ancêtre par le cri du chimpanzé qui aurait guidé ses enfants partis à sa recherche ; arrivés près du cadavre, ils auraient trouvé une chèvre montant la garde, aussi le chimpanzé et la chèvre devinrent-ils deux des totems de ce clan. C’est la panthère qui, par son cri, aurait rendu le même service au clan Kpellé Dela. »
"Il faut s’aggriper aux hautes herbes..."
Bientôt, la forêt laisse place à la savane d’altitude. La frontière est nette entre ces deux végétations. Nous marchons quelques mètres lorsque Moribah lève le bras pour ordonner le silence. Des cris de chimpanzés, il a attendu des cris de chimpanzé. Pas nous. On se réconforte lorsque après quelques mètres dans les hautes herbes nous nous retournons pour admirer la vue. La canopée est à nos pieds, on pourrait presque la toucher. Au loin s’étale la plaine, sur la gauche, au Sud, on aperçoit le Libéria. Plaisir de courte durée : la pente qui se dresse devant nous est si raide qu’il nous faut agripper les hautes herbes pour nous hisser jusqu’au prochain replat d’où nous pouvons enfin apercevoir le sommet.
Nous profitons d’une pause pour questionner Moribah sur son métier de directeur adjoint de la réserve des Monts Nimba. Il nous a autorisé à gravir cette montagne à la condition que lui-même nous accompagne. À la condition également que nous lui payions l’essence nécessaire à sa venue en moto jusqu’au village de départ de la randonnée ainsi que l’hôtel. Son administration n’a aucun moyen de fonctionnement, c’est à dire qu’elle ne peut pas payer plus que les salaires de ses employés. Les rares fois où Moribah et ses hommes partent sur le terrain, c’est le plus souvent avec des moyens financiers alloués par des entreprises minières qui prospectent dans la région et plus rarement par des ONGs de protection de la nature.
Nous reprenons la marche pour atteindre la crête deux heures plus tard. Nous sommes à cheval entre la Guinée et la Côte d’Ivoire qui s’étend sur notre droite. Au loin, entre nous et le mont Richard Mollard qui le domine, nous apercevons un large bosquet dont la couleur vert-pâle contraste au milieu de la prairie d’altitude jaunie par le soleil. C’est la source du Yâ, idéalement située pour le randonneur qui peut y remplir sa gourde avant d’achever l’ascension, une pente raide où les hautes herbes s’égaillent avec l’altitude et laissent apparaître un sol constellés de pierres noires. “C’est du minerai de fer” nous dit Bernard dont la voix trahit une inquiétude. Plus au Nord, on aperçoit des bâtiments accrochés au flanc ivoirien de la montagne, ils appartiennent aux miniers qui y exploitent le fer depuis plusieurs années maintenant.
La chaîne des monts Nimba qui sépare Guinée Conakry et Côte d’Ivoire
Jusqu’à ce jour, c’est la géographie qui a sauvé la partie guinéenne des Monts Nimba. Pour que l’exploitation du fer y soit rentable, il faudrait acheminer le minerai jusqu’à la mer. C’est au Libéria que l’océan est le plus proche mais le gouvernement guinéen ne veut pas se partager les richesses de ce gisement avec son voisin. Reste le chemin de fer dont la construction jusqu’à la côte guinéenne prendrait des années et coûterait beaucoup trop d’argent. Ce versant des monts Nimba que nous quittons est pour l’instant préservé. Jusqu’à quand ?