" Notre but, c’est que les élèves soient prêts à avoir des réflexes citoyens, responsables et critiques par rapport aux médias d’aujourd’hui et de demain ", Étienne RECAMIER

Publié le 24 avril 2018

Etienne RECAMIER a travaillé au CLEMI, le centre de liaison entre l’enseignement et les médias d’information. Pendant 10 ans, il a participé au développement de l’éducation aux médias dans Paris intra-muros. Il répond aux questions de Fatma.

Education aux médias et à l’information

En quoi consiste l’éducation aux médias et quels sont les principaux objectifs ?

L’éducation aux médias, c’est d’abord familiariser les jeunes avec les médias pour qu’ils comprennent comment les médias fonctionnent. Cette familiarisation se fait via une analyse des productions médiatiques. On observe les journaux, on regarde les reportages à la télévision, on décrypte l’information. Un autre aspect est la pratique de l’information. On fait faire aux élèves des reportages, des interviews et les élèves s’approprient les médias. Pour que la compréhension soit la plus complète possible, il faut les faire travailler sur les sources. Les élèves doivent savoir d’où vient une information pour valider sa véracité. Un exercice qu’on fait souvent en classe est de demander aux élèves qu’elles sont les informations qu’ils ont en tête. Les élèves citent des faits. On leur demande alors d’où provient cette information.

L’éducation aux médias prépare-t-elle le citoyen à prendre quelle position face aux influences néfastes des médias ?

Le but est de faire des élèves des citoyens qui soient actifs par rapport à l’information, qu’ils soient capables de s’informer de façon plurielle. Une information n’est pas suffisante. Il faut apprendre aux élèves à ne pas se contenter d’un seul point de vue sur un sujet, mais à multiplier les points de vue sur la même information.

Est-ce que la réussite de l’éducation aux médias se mesure à l’étendue des connaissances acquises ?

L’éducation aux médias aide à l’acquisition de connaissances parce qu’elle aide à bien utiliser les médias. Aujourd’hui, les élèves apprennent beaucoup en dehors de l’école. Ils apprennent par leurs parents, mais aussi par tout l’environnement médiatique qui est autour d’eux. Alors nous en tant qu’enseignants, que fait-on une fois qu’on a fermé la porte de la classe ? Est-ce qu’on fait comme si tout ce que les élèves apprennent par les médias en dehors de la classe n’existait pas ? Ou est-ce que nous nous réapproprions ce que les élèves ont appris et nous travaillons avec les élèves sur cette matière.

Selon vous, les médias reflètent-ils la réalité ?

Les médias ne sont pas objectifs et c’est une méconnaissance des médias que de parler d’objectivité. On peut demander à un journaliste d’être honnête, mais on ne peut pas lui demander d’être objectif. Un journaliste est subjectif comme tout un chacun. Il a un point de vue du simple fait de l’endroit où il est. Il est à un endroit précis qui induit qu’il a un point de vue sur une réalité. Il n’est donc pas objectif puisque c’est son propre point de vue. Les citoyens doivent comprendre ce phénomène et doivent comprendre que s’ils veulent se forger une opinion, s’ils veulent accéder à la " vérité " d’une information, il faut qu’ils multiplient les points de vue. On est à une époque où c’est compliqué parce qu’il y a les médias traditionnels, mais aussi les médias de type réseaux sociaux qui véhiculent des informations. Ce n’est pas parce que les médias sont traditionnels qu’ils ne sont pas orientés. On parle beaucoup de Fake news. Il y a des Fake news partout. On doit apprendre aux élèves à détecter la " bonne " information de la " mauvaise ". D’où ce travail nécessaire sur les sources, la fabrication de l’information et l’indépendance des médias par rapport, par exemple, aux enjeux économiques. Il y a des médias plus ou moins indépendants d’enjeux économiques ou politiques, il faut savoir les déceler. En France, on a quelques médias qui sont indépendants, mais ils sont très rares. On peut citer Le Canard enchainé, Médiapart. Ces médias peuvent avoir des informations moins liées aux enjeux économiques.

Dialogue entre des élèves et une journaliste dans le cadre du projet Globe Reporters © Globe Reporters
 

L’univers médiatique étant en perpétuel mouvement, dans quelle mesure l’éducation aux médias s’aligne sur cette dynamique ?

L’éducation aux médias, ce sont des compétences qui sont dynamiques. Ce n’est pas un savoir, c’est un savoir-faire. L’élève qui est éduqué aux médias est capable de déceler la pertinence du média. L’éducation aux médias reste marginale parce que c’est une préoccupation qui vient parfois après ce qu’on appelle les apprentissages fondamentaux. Mais de nombreux enseignants, qui ont une fibre militante, font en sorte que l’éducation aux médias se développe. L’éducation aux médias, ce n’est pas nouveau, et il faut continuer à la développer. Il faut un véritable soutien institutionnel pour aider les enseignants à développer l’éducation aux médias et ce n’est pas toujours le cas.

Dans le cadre de l’éducation aux médias et à l’information, quelles leçons ont été tirées de l’attentat perpétré contre le journal Charlie Hebdo ?

On s’est rendu compte que la liberté d’expression, c’est essentiel. On s’est aussi rendu compte qu’il faut tenir compte du public. Ce qui veut dire que ce que je dis ou écris peut choquer, peut ne pas être compris. Il faut être prudent, savoir jusqu’où on peut aller en matière de liberté d’expression.

Certains mettent en cause la nécessité de l’éducation aux médias. Sur quels arguments s’appuient-ils et jusqu’où êtes-vous de leur avis ?

La mise en cause dont j’entends de temps en temps parler est un effet pervers de l’éducation aux médias. Les élèves deviennent tellement aiguisés par rapport aux médias qu’ils ne croient plus en aucun média. Ils sont dans une attitude " nihiliste ". Tout travail journalistique est nul et non avenu. C’est un effet pervers d’une éducation aux médias non intelligente. L’élève qui est éduqué aux médias de façon pertinente est un élève qui est capable de choisir les médias qu’il estime être les médias qui l’informent le mieux.

Qu’est-ce que l’éducation aux médias et à l’information apporte de plus à l’éducation pour qu’elle prenne l’ampleur actuelle ?

On parlait il y a encore quelques années d’éducation aux médias. Depuis quelques années, on parle d’éducation aux médias ET à l’information. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose. Éduquer aux médias ce n’est pas la même chose qu’éduquer à l’information. Demandez à un élève quel est l’auteur des Misérables, ça c’est de l’éducation à l’information. Éduquer aux médias, c’est autre chose. Globaliser les choses c’est un piège. Je préfère que le champ soit limité pour être performant avec les élèves. Plutôt que parler d’éducation aux médias et à l’information et au numérique et au… Du coup, on ne sait plus ce qu’on travaille. Tous ces champs sont importants. L’éducation numérique est très importante, mais on ne peut pas tout faire en même temps.

Question bonus : pensez-vous que les globe-reporters seront les journalistes citoyens de demain ?

Un journaliste citoyen est un journaliste indépendant, qui est capable de se dégager d’influences économiques et politiques. Il est dans une neutralité. Je ne dis pas " objectivité ". Je parle de neutralité et d’honnêteté ce qui est très différent. Quant à l’éducation aux médias, son but n’est pas de former des journalistes. On n’est pas là pour faire naître des vocations. Notre travail est de former des citoyens qui soient capables de s’informer le mieux possible et avec pertinence. On ne va pas plus loin. Un exemple : on veut que les élèves aient un regard critique par rapport aux médias. On peut travailler sur la radio, sur les réseaux sociaux, sur la télévision. Peu importe le média, parce que l’important est de développer un esprit critique qui soit transférable sur n’importe quel autre média d’aujourd’hui, mais aussi de demain. Nos élèves vont connaître des médias qui n’existent pas encore. Notre but, c’est qu’ils soient prêts à avoir des réflexes citoyens, responsables et critiques par rapport aux médias, quels qu’ils soient.

Un entretien réalisé en avril 2018 à Paris et actualisé en septembre 2021

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