L’avortement est interdit en Louisiane depuis juin 2022. La rédaction du lycée Léonard De Vinci à Montaigu (85) souhaite comprendre les impacts de cette interdiction. Victoria COY, directrice de l’association LCRF - Louisiana Coalition for Reproductive Freedom (Coalition pour la liberté reproductive en Louisiane), répond aux questions de la rédaction.
DROITS HUMAINS ET SOLIDARITE
Alors que la France inscrit la liberté d’avorter dans la Constitution, les États-Unis font un bond en arrière. En juin 2022, la Cour Suprême du pays, devenue conservatrice suite à la présidence de Donald TRUMP, décide de renverser l’arrêt Roe v WADE, qui garantissait le droit à l’avortement dans tous les états du pays depuis 1973.
Désormais, chaque état décide de sa propre législation concernant l’IVG (interruption volontaire de grossesse). En juin 2022, le gouvernement de Louisiane décide d’interdire l’avortement et de le criminaliser. Les personnes qui avortent ou qui aident des personnes à avorter peuvent être condamnées et aller en prison. En Louisiane, notre envoyée spéciale, la journaliste Marine LEDUC voit beaucoup de panneaux publicitaires géants ou d’associations antiavortement.
Les globe-reporters et globe-reportrices de Montaigu lui demandent d’interviewer une personne qui travaille dans une association qui œuvre à la défense des droits reproductifs, afin de comprendre les impacts de cette interdiction. En cherchant des personnes, francophones ou non, en mesure de répondre aux questions, elle se rend compte que le sujet est très sensible. Voici plusieurs échanges par courriel :
« J’ai de la difficulté à trouver quelqu’un. La langue française est assez liée au catholicisme. Même avec mes amis qui sont plus jeunes, moins pratiquants, et plus ouverts aux reproductive rights, j’avoue qu’il y a quand même des soucis. »
« Les jeunes francophones veulent garder de bonnes relations avec la génération des locuteurs natifs et je peux facilement imaginer une personne jeune qui hésite à parler publiquement de l’avortement de peur de nuire à ses relations avec cette génération plus âgée - une génération qui est souvent encore très pratiquante. »
Marine propose de faire une interview anonyme, ou en anglais, mais difficile pas de candidat/e. Finalement, elle reçoit une réponse de Victoria COY, directrice de LCRF - Louisiana Coalition for Reproductive Freedom (Coalition pour la liberté reproductive en Louisiane), un organisme qui rassemble 30 associations membres pour les droits reproductifs dans l’état du sud.
Victoria n’est pas en Louisiane pendant le séjour de Marine, donc l’interview est faite en visio-conférence. La veille de l’interview, Lift Louisiana, une association membre de LCFR, publie un rapport en anglais sur les impacts de l’interdiction de l’avortement en Louisiane. Le rapport montre que cette interdiction a provoqué une diminution des prises en charge pour les femmes concernant leurs droits reproductifs.
Victoria COY transmet aussi un lien du Center for Reproductive Rights, qui actualise régulière-ment une carte sur le droit à l’avortement dans chaque état. « Les lois changent très rapidement » précise Victoria. Pour le moment, les personnes de Louisiane qui souhaitent avorter peuvent aller en Floride, où le droit à l’IVG est toujours en débat, ou au Nouveau-Mexique. Elles peuvent aussi commander des pilules abortives (mifepristone) et procéder à un avortement médicamenteux chez elle, même si c’est illégal.
Mais la Cour Suprême regarde aussi de près l’accès à la pilule abortive et organise une audience le 26 mars 2024 à ce sujet. Elle pourrait imposer de nouvelles restrictions ces prochains mois et entraver l’accès à cette pilule à l’échelle nationale.
Un entretien réalisé en mars 2024
En Louisiane, il y a des panneaux dans les rues, et des mouvements antiavortements, qui se qualifient de « pro-vie ». Ici, une association antiavortement à La Nouvelle-Orléans © Globe Reporters
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Victoria COY. Je suis la directrice de la Coalition pour la liberté reproductive en Louisiane. La coalition regroupe 30 organisations membres. Toutes travaillent autour du droit à la liberté reproductive. Cette organisation existe depuis 32 ans, mais n’est vraiment active que depuis 4 ans dans la configuration actuelle.
Comment la société a réagi face aux nouvelles restrictions sur le droit à l’avortement ?
Il faut comprendre que les gens qui s’acharnent à détruire les droits à la liberté reproductive forment un petit groupe. Ce n’est pas la majorité des Américains ni la majorité des Louisianais. On sait qu’en Louisiane, 53 % des personnes soutiennent le droit à l’avortement. Mais cette minorité a beaucoup de pouvoir et impose des lois.
Je pense que beaucoup de gens ont été surpris par ces décisions. Mais pour nous qui travaillons sur ce sujet, ce n’est pas une surprise. Cela fait des années que cette minorité s’attaque aux droits reproductifs et au droit à la contraception. Depuis 10 ans, beaucoup de services de santé dédiés aux femmes sont la cible de ces gens.
Quelles sont les actions mises en place pour aider et militer pour les femmes dans le combat visant à rétablir un droit à l’avortement moins restrictif depuis le vote de cette loi ? Pensez-vous étendre ces actions ?
C’est très difficile. Notre coalition est mobilisée, mais nous n’avons pas beaucoup de moyens. Nous avons peu d’argent. La législation est très contraignante. Actuellement, il y a peu de mobilisation pour ces raisons. Nous essayons de nous former avec l’aide d’activistes au Mexique qui se battent pour faire évoluer la loi dans ce pays. Les femmes mexicaines ont beaucoup à nous apprendre. Ici, c’est très difficile d’avoir des soutiens financiers. Dans les états du sud des USA - Louisiane, Mississippi, Texas – les bailleurs de fonds ont fermé leurs programmes.
Comment évaluez-vous l’impact et les répercussions de cette mesure auprès des jeunes ?
Notre coalition vient de réaliser un nouveau rapport qui s’intitule « Soins criminalisés : comment les interdictions de l’avortement en Louisiane mettent en danger les patientes et les cliniciens ». Nous expliquons que les jeunes femmes enceintes rencontrent de graves problèmes de santé. Des soins leur sont refusés. C’est une situation insoutenable. Des femmes risquent de mourir faute de soins appropriés. Si une femme enceinte rencontre des complications lors de sa grossesse fait une fausse couche, il est très difficile de recevoir des soins comme une césarienne. C’est considéré comme un avortement.
En Louisiane, aujourd’hui, il y a 1/3 des communes qui n’ont plus de gynécologues. Donc toutes les femmes sont concernées, pas seulement celles qui sont enceintes. Depuis la mise en place de la loi en 2022, les médecins sont partis dans d’autres régions du pays parce que ces soignants risquent d’aller en prison. Ils sont donc partis dans d’autres états.
Une association antiavortement à La Nouvelle-Orléans © Globe Reporters
Votre travail a-t-il aujourd’hui un impact sur la sensibilisation des politiques et de la population à la problématique posée par ces restrictions ?
C’est notre espoir. Notre rapport donne beaucoup de nouvelles informations. Les antiavortements nient les problèmes que peuvent rencontrer les femmes. Nous prouvons que toutes les femmes sont victimes de ces lois en Louisiane et aux États-Unis.
Je pense que beaucoup de politiciens aux USA connaissent la situation, mais cela ne les intéresse pas. Avec notre rapport, nous espérons informer la société civile dans tout le pays, mais ce n’est pas facile.
Savez-vous si aujourd’hui, des femmes ont recours à un avortement clandestin sur le territoire ou si elles vont se faire faire avorter à l’étranger ? Avez-vous eu des témoignages ?
Oui, il y a des femmes qui vont avorter dans d’autres états. Un rapport parle de 1 million d’avortements aux États-Unis l’année dernière. C’est un chiffre similaire à celui d’avant la loi. Cela veut dire que les femmes ont voyagé pour avorter.
Les Républicains disent que si TRUMP gagne les prochaines élections, il va imposer une loi antiavortement sur tout le territoire.
Aujourd’hui en Louisiane, il y a beaucoup de femmes qui avortent seules avec la pilule abortive. Ça n’a pas de sens dans un pays développé comme les USA. Mais en plus, la Cour suprême pourrait interdire prochainement les pilules abortives. Aujourd’hui, les femmes de Louisiane peuvent commander ces pilules dans d’autres états. Cela ne sera alors plus possible. Il faudra se les procurer depuis le Mexique ou la France. Mais, c’est plus difficile et si tu es prise, tu vas en prison.
Les condamnations sont les mêmes que pour un meurtre ; c’est 10 ans ou plus. Une femme qui fait une fausse couche peut aussi être condamnée, car c’est difficile de prouver que la fausse couche est naturelle et que ce n’est pas un avortement provoqué. Le médecin qui soigne la femme qui fait une fausse couche peut aussi aller en prison.
Quelles sont les répercussions sur la santé mentale des femmes n’ayant pas pu avoir recours à l’avortement dans le temps imparti ? Plus spécifiquement en cas de viol ou d’inceste.
C’est une question très intéressante, mais je ne suis pas médecin. Ce serait logique que des femmes aient des problèmes, et je pense qu’il y a aura beaucoup de cas. On entend des histoires au niveau national, mais je ne suis pas soignante. Il faut ajouter que les aides aux mères et aux enfants sont rares. Le gouvernement dit qu’il faut avoir des enfants, mais laisse les mères seules alors que l’éducation, la santé sont très coûteuses pour les familles, comparé à la France, par exemple.
Dans quelle mesure cette loi renforce-t-elle les inégalités (sociales, de genre, accès au soin…) ?
Aujourd’hui, la Louisiane est l’état américain où la mortalité des femmes de peau noire est la plus importante. Ces lois renforcent ces inégalités. C’est tout le système de santé consacré aux femmes et aux mères qui pose problème, notamment pour les femmes noires. Les femmes de couleur sont aussi victimes du système judiciaire.
Il est important de comprendre que les personnes qui imposent ces lois, qui sont antiavortement, sont minoritaires. Beaucoup d’Américains veulent défendre le droit à une bonne santé pour tous et toutes. Il faut donc lutter pour nos droits contre cette minorité qui est au pouvoir.