De Scinteia à Adevarul, l’histoire d’un grand journal roumain

Publié le 22 février 2015

Comment fonctionnait la presse pendant la dictature de Nicolae Ceausescu ? Le journaliste Ion Ionita, journaliste politique depuis 15 ans à Adevarul, répond aux élèves de Roland Dorgeles.

Economie, histoire et politique

Est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Je m’appelle Ion Ionita, j’ai 51 ans. Je travaille pour le journal Adevarul depuis 15 ans. Avant, j’ai été journaliste pour d’autres médias. J’ai une expérience en radio et je réalise des émissions politiques pour la télévision du journal.

Mes domaines sont la politique et l’Histoire. Je suis rédacteur en chef du magazine historique du groupe. Nous avons beaucoup de lecteurs qui s’intéressent à l’Histoire de la Roumanie, de l’Europe et du monde.

Ion Ionita devant l’aigle, symbole du journal Adevarul

A qui appartient Adevarul ?

Ce journal appartient à un grand groupe de presse de Roumanie. Dans le groupe, nous avons aussi des magazines hebdomadaires, mensuels, bimensuels. Nous avons un tabloïd payant qui s’appelle Click avec beaucoup de photos de stars. C’est une source de profits importante pour le groupe. Nous avons une télévision à laquelle je collabore.

Adevarul signifie « vérité » en français : pourquoi votre journal s’appelle-t-il ainsi ?

C’est le nom historique de ce journal qui a été fondé au XIXe siècle. Ce journal a une longue histoire. Le tirage est d’environ 15 000 exemplaires par jour mais le journal a un site Internet avec près de 3 millions de visites par mois. Nous faisons beaucoup de choses pour Internet. C’est l’avenir.

La Une de Adevarul lundi 9 février 2015

Quelle est la ligne éditoriale de Adevarul ?

C’est une ligne démocratique et pluraliste. Nous sommes un média indépendant des partis politiques. C’est un journal objectif et de qualité. En Roumanie, il y a aussi des journaux de gauche et de droite. Je dirais qu’Adevarul se situe au centre gauche.

La rédaction d’Adevarul occupe deux étages d’un immeuble dans le nord de Bucarest

Les journaux Scinteia et Adevarul sont les mêmes journaux. Pourquoi avoir changé le nom du journal ?

Ce sont deux journaux différents. Scinteia était le journal du Parti communiste roumain. Il est mort avec la révolution roumaine de 1989. Adevarul est né après cette révolution. Il a été fondé par des anciens journalistes de Scinteia, mais il est très différent de ce qu’était Scinteia.

À l’époque de Scinteia, est-ce que les journalistes pouvaient écrire ce qu’ils voulaient ?

Non, il n’y avait pas de liberté de la presse. C’était le journal officiel du Parti communiste roumain. Tous les articles étaient contrôlés par le Parti. Il n’y avait pas grand-chose à lire dans Scinteia. C’était des articles idéologiques qui servaient le culte de personnalité pour le dictateur Ceausescu. Chaque jour, il y avait la photo de Ceausescu en première page du journal avec ses idées. C’était très difficile de croire à tout cela. Le tirage était énorme car les institutions d’Etat avaient pour obligation d’acheter le journal. On dépassait le million de journaux par jour, mais peu de gens le lisaient.

Sous Ceausescu, y avait-il d’autres journaux ?

Oui. Il y avait aussi le journal Romania Libera (La Roumanie libre) et une publication pour la jeunesse. Avec Scinteia, c’était les trois principaux journaux. Dans les différentes régions du pays, il y avait d’autres journaux qui étaient également sous le contrôle du Parti. Il y avait aussi la radio et la télévision nationale avec deux heures de programme par jour qui parlaient de Ceausescu et de la météo.

Une de Scînteia le 21 décembre 1989. Le titre signifie : "Le discours du camarade Nicolae Ceausescu à la radio et à la télévision"

Comment travaillait la presse sous Ceausescu ? Obligeait-il la presse à écrire des bonnes choses sur lui ?

C’était tout un système. La censure était très stricte. Le Parti contrôlait tout. Tous les mots et les idées étaient contrôlés. Il fallait obtenir un visa (un accord) avant de publier les articles. Il était impossible de publier des articles qui n’étaient pas agréés.

Dans les rédactions, il y avait des gens dont le métier était de censurer les articles. Il y avait un « deuxième étage » de la censure, c’est à dire une commission de la presse au sein du Parti qui décidait en dernier recours.

Il était impossible de publier quelque chose de critique. C’était aussi très difficile d’insinuer des doubles sens. La censure veillait. Quand un article ne convenait pas, il était réécrit pour être compatible. On ne voyait pas de mots barrés dans les journaux, car officiellement, la censure était interdite. La propagande officielle disait que la Roumanie était un pays libre et que les journalistes étaient libres.

À l’époque, j’étais étudiant à l’université. Je ne faisais pas des études de journalisme, car c’était aussi sous le contrôle de l’État. On ne pouvait pas devenir journaliste si on n’était pas membre du Parti.

À la chute du régime, est-ce qu’il a fallu du temps pour réapprendre la liberté d’expression ?

Non. Cela a été une explosion de publications libres. En Roumanie, nous avons une longue tradition de presse. Pendant la période entre les deux guerres mondiales, la presse était très développée en Roumanie. Il y avait beaucoup de journaux. Des écrivains très connus étaient aussi journalistes. Donc, après la révolution de 1989, il y a eu des centaines de journaux qui ont été créés. Ils ont été créés à ce moment-là par des journalistes assez âgés qui avaient l’expérience de la presse libre d’avant Ceausescu.

Le plateau de télévision du journal qui permet de diffuser des émissions sur le web

Aujourd’hui, comment est la liberté de la presse en Roumanie ?

Je peux dire que la liberté d’expression, la liberté de la presse sont respectées à 100% en Roumanie. Il y a bien sûr des lobbys influents, des groupes de presse, des industriels avec des intérêts comme dans les autres pays européens. Mais la diversité est totale et garantie. Les journalistes sont libres. Si on n’est pas content avec son journal, on peut changer de rédaction.

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