En Roumanie, l’impact environnemental du lac toxique de Geamăna
Publié le 31 mars 2024
Juliette, Maïa, Léana, Émilie et Grace-Stella du Collège Paul VERLAINE de Paris travaillent la pollution minière en Roumanie. Ancien topographe, Zeno CORNEA est impliqué dans la lutte contre une entreprise minière depuis 1996. Autant dire qu’il était ainsi plus qu’avisé pour évoquer les désastres de la pollution minière.
Environnement et transition énergétique
Juliette, Maïa, Léana, Émilie et Grace-Stella du Collège Paul Verlaine ont eu du flair en travaillant sur ce reportage. Non pas que le triste sort du lac de Geamăna constitue - loin de là - une exception dans un pays encore en train de panser les plaies de multiples projets pharaoniques désastreux pour l’environnement menés pendant la période communiste. Il y avait autre chose, lié à l’actualité.
Nos rédactrices en chef, sans doute, ne s’attendaient pas à ce que le site minier (géré par l’état roumain) du nom de Roşia Poieni et responsable de la pollution du lac fonctionne toujours aujourd’hui. Mais ce qu’elles ne savaient pas non plus c’est que celui-ci se trouvait exactement sur le même territoire qu’un autre site minier, très connu lui aussi, mais pour des raisons diamétralement opposées.
Ce second site c’est celui de Roşia Montana où la société civile roumaine a mené ces dernières années un combat titanesque contre l’état roumain et une multinationale canadienne pour ne pas voir sortir de terre une mine encore plus polluante à deux pas de Roşia Poieni.
Le hasard faisant définitivement bien les choses, c’est le soir même de l’arrivée sur place de notre correspondant en Roumanie, le journaliste Benjamin RIBOUT pour interviewer Zeno CORNEA qu’un tribunal international basé à Washington actait pour de bon, après 25 ans de lutte, la victoire du petit Poucet roumain face au Goliath canadien. Résultat, le projet d’extraction d’or à base de cyanure des Canadiens ne se fera pas à Roşia montana ! Ancien topographe ayant travaillé à Roşia Poieni, mais aussi à Roşia montana avant l’arrivée des Canadiens, Zeno CORNEA est impliqué dans la lutte contre les Canadiens depuis 1996.
Un peu de géographie pour bien situer notre « lac » pollué et les mines des environs. Autrefois un petit village flanqué au cœur d’une vallée, Geamăna est désormais entièrement recouvert. On dit un « lac », mais c’est en fait davantage un bassin de résidus dont seule la pointe de l’église - qui dépasse à peine de la surface - rappelle qu’ici un village a été englouti sous une « eau » aux formes et couleurs multiples.
En arrivant sur place, l’une des rares personnes encore dans les environs oriente Benjamin de la sorte alors qu’il donnait du foin à ses vaches : « si vous voulez voir de l’eau turquoise, c’est sur la gauche, pour l’eau couleur cuivre, il faut prendre à droite ». Le paysage - les montagnes autour et le sentiment d’être au bout du monde dans un écrin de verdure - est à la fois paradisiaque, mais aussi mortifère, car ce lac renferme tout ce que la mine de cuivre de Roşia Poieni, située plus haut à 2 km à vol d’oiseau, y rejette depuis des décennies.
Cela n’a pas empêché quelques villageois de rester sur place après s’être fait expropriés il y a plus de 40 ans. Ils se sont construit une nouvelle maison un peu plus haut dans la vallée, le lac en contrebas. Sauf que le lac toxique se remplit toujours plus de résidus, qui montent et montent.
Zeno CORNEA nous raconte leur histoire dans cette interview, lui qui connaît bien le lac de Gemeăna. Pendant 25 ans, 4 fois par an, il a surveillé la stabilité du barrage situé en contrebas. Il y observait les bornes topographiques pour voir si elles bougeaient. Il a aussi coordonné les travaux topographiques là-haut à Roşia Poieni, la construction de la carrière et des routes.
Zeno a 73 ans aujourd’hui, il est à la retraite depuis longtemps. Mais il ne s’est pas ennuyé pendant tout ce temps puisqu’avec d’autres locaux il s’est battu contre un autre projet minier là aussi juste à côté de chez lui. La mine de Roşia Poieni, situé au sommet d’une montagne dominant le lac de Gemeăna à l’est, se trouve sur le territoire de Roşia montana, commune qui s’étend sur 42 km2 et comporte 16 villages.
Ici on trouve des métaux (on appelle la région les monts « métallifères ») partout sous terre. La terre est rouge, d’où le nom des toponymes – Roşia signifie « rouge » en roumain. Zeno habite sur les hauteurs de Roşia montana, en direction de la mine de Roşia Poieni. Ici, on creuse depuis toujours. Zeno a même un voisin qui a une petite mine privée en face de chez lui.
Attestée depuis l’an 131, Roşia montana est d’abord exploitée par les Romains qui ont laissé 150 km de galeries souterraines, lesquelles se visitent aujourd’hui. L’association - dont fait partie Zeno - qui s’oppose pendant 25 ans à l’ouverture d’une nouvelle mine d’or à Roşia montana s’appelle d’ailleurs « Alburnus maior » du vieux nom romain de Roşia montana.
Il est 16h00 lorsque notre correspondant arrive chez Zeno : il finit de donner à manger à ses quelques vaches et veaux dont la grange est juste à côté de la maison de l’une de ses filles. C’est dans cette maison qu’il nous reçoit. Il ne sait pas encore (il l’apprendra dans la nuit même) que le cauchemar de Roşia montana va prendre fin dans quelques heures.
Assis sur l’un des plus gros filons d’or européen, la commune agricole perchée dans les montagnes était traquée par une société canadienne qui espérait en extraire 300 tonnes d’or et 1 600 tonnes d’argent. Pour cela elle prévoyait de faire voler en éclats quatre autres massifs, mais aussi d’utiliser 12 000 tonnes de cyanure par an. « Comme si les dégâts écologiques de la mine de Roşia Poieni n’avaient pas suffi », tonne Zeno.
Le projet incluait là aussi un bassin de résidus encore bien plus grand que celui de Gemeăna, avec cette fois du cyanure (la mine de Roşia Poieni, elle, n’utilise pas de cyanure, mais un autre réactif chimique appelé ostaflot pour extraire le cuivre). De fait la multinationale a passé 25 ans à « convaincre » à coups de pots-de-vin les politiciens locaux et les habitants qu’il valait quitter les lieux, achetant tout ce qu’ils pouvaient sur place.
Aujourd’hui, la compagnie canadienne possède 800 maisons à Roşia montana (sur une commune d’à peine 3 000 habitants). Mais tous ne sont pas partis, beaucoup ont su résister aux multiples pressions. Il fallait faire preuve de courage, 25 ans de lutte.
Finalement, l’attachement de Zeno et d’autres habitants aura été plus fort que l’appât du gain. Soutenues par la société civile roumaine, d’énormes manifestations sont organisées dans les grandes villes du pays en 2013 lorsque l’état veut faire passer une loi exceptionnelle visant à exproprier les habitants de Roşia montana qui ne veulent pas partir.
La loi est retirée, puis Roşia montana est déclaré site d’intérêt historique avant d’être classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 2021, notamment pour son site minier unique datant des Romains. « Victoire » scande Zeno, fier, le lendemain de notre interview devant les télévisions roumaines venues à Rosia après l’annonce de la victoire de la Roumanie face à la compagnie canadien (que l’on appelle ici « la Gold »).
Le plus gros filon d’or d’Europe ne sera pas exploité ici ! Les gens vont enfin pouvoir reprendre une vie normale. Il faut bien s’imaginer que leur vie a été littéralement empoisonnée par cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête pendant tout ce temps. Entre ceux favorables au projet minier et ceux qui y étaient opposés, il était courant que des voisins ne se parlent plus du tout. La commune était comme à l’arrêt.
Mais, comme d’autres ici, Zeno est un battant. Il a été invité dans de nombreux pays pour raconter l’histoire du combat de Roşia montana. L’entreprise canadienne a tout fait pour le corrompre afin qu’il se taise. Il n’a pas lâché, préférant sauver l’environnement.
Cette histoire de petit Poucet des montagnes qui remporte la bataille c’est LA belle histoire, comme si les hommes avaient retenu quelque chose des erreurs du passé. Mais nous sommes surtout venus voir Zeno pour parler justement de ses erreurs, essayer de comprendre. Comment avoir pu laisser faire un tel projet à Roşia Poieni ? Et surtout quelles conséquences pour l’environnement ?... « Pour tout ce cuivre qui se trouve dans le sol à Roşia Poieni et que l’état roumain vend aux Chinois, la nature en bas à Gemeăna est à jamais dévastée », commence Zeno. On l’écoute.
Interview réalisée le 8 mars 2024
Entretien réalisé en roumain. La traduction en français est à télécharger via le Kit pédagogique en pied de page.