"Il apparaît beaucoup plus sûr, pour la sécurité de tous, de rapatrier les femmes et les enfants [djihadistes]", Maître Marie Dosé
Publié le 28 avril 2019
Marie DOSE est avocate pénaliste au barreau de Paris depuis 2001. Elle est l’avocate de femmes djihadistes qui souhaitent revenir et être jugées en France mais également de parents et grands-parents qui demandent le rapatriement de leurs enfants et petits-enfants. Elle répond aux questions des globe-reporters du collège Gérard Philipe à Hénin-Beaumont et du collège Saint-Aubert à Libercourt.
Droits humains et solidarités
A Libercourt, Lydie et Patrice MANINCHEDDA se sont battus pour le retour de leurs trois petits-enfants, prisonniers avec d’autres enfants et des femmes djihadistes dans un camps en Syrie. Ils ont finalement obtenu leur rapatriement en mars dernier. D’autres familles du Nord de la France sont encore en attente d’une décision similaire pour leurs filles, et leurs petit-enfants.
A Libercourt, les collègiens s’interrogent au sujet de l’histoire de la famille MANINCHEDDA. Pourquoi le retour des petits-enfants posent autant de problèmes ? Quel est le danger ? Pourquoi cette jeune femme est-elle partie en Syrie ? Que se passe-t-il exactement en Syrie depuis 2011 ? Qu’est-ce que l’Etat islamique ? Autant de questions qu’ils approfondissent au cours de leurs recherches.
La journaliste Sidonie HADOUX, leur envoyée spéciale, contacte à plusieurs reprises l’avocat de la famille MANINCHEDDA, sans recevoir de réponse. Elle écrit alors à Marie DOSE, avocate chargée de la défense d’autres familles dans le même cas. Cette dernière accepte de répondre aux questions des élèves.
Pouvez-vous vous présenter ? et présenter votre travail ?
Je suis avocate au barreau de Paris depuis 2001. Je suis pénaliste, je défends les personnes poursuivies devant les Tribunaux mais également les victimes d’infraction. Je travaille avec une associée et deux collaboratrices et j’ai un cabinet à Paris dans le 9ème arrondissement.
Pourquoi avez-vous décidé de devenir avocate des femmes et de familles de djihadistes retenues en Syrie ?
Je n’ai pas décidé de devenir avocate des femmes et de familles de djihadistes retenues en Syrie, ce sont ces femmes et leurs familles qui sont France qui sont venues vers moi. J’ai au départ été désignée par une mère poursuivie pour "financement du terrorisme" pour avoir envoyé de l’argent par western union à son fils, sa belle-fille et ses petits enfants présents en zone de guerre. Depuis, je suis l’avocate de femmes qui souhaitent revenir et être jugées en France mais également de parents et grands-parents qui demandent le rapatriement de leurs enfants et petits enfants.
Pourquoi cela pose-t-il problème de les faire revenir en France ?
J’ai du mal à comprendre pourquoi cela pose problème de rapatrier les femmes et les enfants. Mais force est de constater que l’opinion publique n’y est pas favorable et que dès lors le gouvernement français ne semble prêt à prendre la responsabilité de rapatrier ces femmes et ces enfants. En effet, et à ce jour, la Suède, le Kosovo, la Tchéchénie et l’Algérie ont décidé de rapatrier leurs ressortissants.
Il faut bien comprendre qu’aujourd’hui, l’Etat Islamique, vaincu en Syrie dernièrement, n’a plus de territoire.
Combien d’enfants et de femmes français sont détenus en Syrie ?
Les chiffres ne sont pas tout à fait certains mais il seraient environ 200 femmes et enfants français prisonniers dans des camps au Kurdistan syrien.
Est-ce que l’opinion publique est favorable à leur retour ? Pourquoi ?
L’opinion publique est majoritairement défavorable à leur rapatriement. L’argument majoritairement invoqué étant que ces personnes ont rejoint l’Etat Islamique de leur plein gré, qu’ils sont devenus des ennemis de la France et qu’ils doivent dès lors être jugés par les instances Kurdes ou Irakiennes.
Or, le Kurdistan n’est pas un Etat et n’a donc pas les instances pour juger. Quant à l’Irak, la dernière française qui a été jugée sur place, son bébé dans les bras, elle a été condamnée à 30 ans de prison après une audience qui n’a duré que quelques minutes. On ne sait d’ailleurs pas ce qu’il adviendra des condamnés à leur sortie de prison. J’ajoute que, récemment, des prisonniers se sont évadés des prisons irakiennes et sont, quelque part dans la nature.
Il apparaît donc beaucoup plus sûr, pour la sécurité de tous, de rapatrier les femmes et les enfants. La plupart des femmes qui se trouvent actuellement dans les camps au Kurdistan sont à ce jour "judiciarisées" par des juges d’instruction anti-terroristes. Cela signifie qu’elles sont visées par des mandats d’arrêt et sont donc recherchées. A leur retour en France, elles seraient donc interrogées et vraisemblablement incarcérées. Leurs enfants seraient, quant à eux, placés auprès de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou chez les grands-parents après évaluation et si la situation le permet.
Dans ces camps de prisonniers où vivent femmes et enfants, la situation sanitaire est déplorable voire alarmante puisque les enfants sont gravement malades, souffrent pour certains de dysenterie ou encore de choléra et sont peu ou pas soignés. La Croix Rouge intervient dans ces camps mais ne peut dispenser de soins à tous et l’aide alimentaire apportée est largement insuffisante.
Comment cela se passe une fois que les enfants sont rapatriés sur le territire français ?
Fin mars dernier, 5 orphelins ont été rapatriés. Ils sont pour l’heure en famille d’accueil. Des tests génétiques sont actuellement en cours pour s’assurer que les grands-parents présents en France sont bien leurs grands-parents. D’ici quelques semaines, un juge des enfants décidera soit de les maintenir en famille d’accueil soit de les confier à leurs grands-parents.
Vous battez-vous aussi pour que des hommes soient rapatriés ?
Pour le moment, je ne défends que les femmes présentes dans les camps et non les hommes. S’ils étaient également rapatriés, ils seraient également incarcérés en attente de leur jugement.
Comment fait-on pour réintégrer ces personnes en France ?
A ce jour, dans les prisons françaises, des hommes et des femmes ayant rejoint la Syrie en 2014/2015 sont détenus. Ils ont réussi à revenir en France et ont été incarcérés à leur retour. En détention, il existe différents système visant à évaluer leur radicalisation (ce sont les quartiers d’évaluation de la radicalisation) qui existent dans plusieurs prisons françaises. Il existe également des imams qui interviennent en détention pour parler aux détenus et tenter d’œuvrer aux fins de les "déradicaliser" pour qu’ils comprennent que les préceptes appris sont justement bien souvent contraires à la religion.
Pourquoi avoir saisi l’ONU ?
Enfin, j’ai saisi les instances de l’ONU, le comité pour les droits de l’enfants et le comité contre la torture. Je dois prochainement saisir la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, les juridictions internes ne peuvent enjoindre la France à rapatrier ces ressortissants puisqu’il s’agit d’un acte de gouvernement c’est à dire de politique. La séparation des pouvoirs ne permet pas à l’autorité judiciaire ou administrative d’obliger le pouvoir exécutif à rapatrier les ressortissants français. C’est la raison pour laquelle je me suis tournée vers les instances européennes et internationales.