Marine LEDUC, l’envoyée spéciale des globe-reporters, n’aurait jamais dû aller ce soir-là au concert de Lydia KEPINSKI. Elle était bien trop épuisée par 2 semaines intenses de reportages. Pourtant, sa passion pour la musique l’aide à surmonter sa fatigue et sur place, non seulement elle découvre une artiste en devenir, mais aussi fait une rencontre improbable.
CARNET DE ROUTE
Il y a 7 ans, j’étais en stage de radio à Montréal. Passionnée de musique, je découvre une ville effervescente, avec des concerts à gogo, que ce soit dans les grandes arènes (salles de spectacles) ou dans les petits cafés-concerts qui foisonnent sur le boulevard Saint-Laurent. J’ai pu voir Léonard COHEN, Patti SMITH et Neil YOUNG au Centre Bell, mais aussi Cat Power, les Sud-africains de Die Antwoord et une multitude de groupes locaux. De retour dans la ville pour Globe Reporters, je retourne dans mes lieux favoris, comme L’Escalier, qui propose deux ou trois concerts tous les soirs.
Pourquoi Montréal est une ville propice à la musique en tout genre ? Il y aurait plusieurs explications : c’est une ville jeune, cosmopolite et pas trop chère pour une vie d’artiste au Canada. Peut-être que l’hiver y est pour quelque chose. Il permettrait une incubation créative, comme le dit le rappeur Maybe WATSON dans une interview pour Globe Reporters. L’été venu, c’est l’explosion de festivals où le public découvre les nouvelles créations. À l’époque, j’avais vu un superbe documentaire sur la scène musicale montréalaise : « From Montreal ». Il montrait aussi la division qui existe entre la scène francophone et anglophone, et comment certains artistes tentaient de créer un pont entre les deux.
Naya ALI à M pour Montréal 2019
En 2012, lors de mon stage, je couvre le festival M pour Montréal, qui permet aux artistes locaux de se faire connaître par les promoteurs et journalistes internationaux. J’y découvre Half Moon Run, un groupe dont je suis encore fan aujourd’hui, et aussi Mac DEMARCO, qui devient un chouchou du magazine Les Inrocks.
C’est dans ce même festival que je retourne ce mercredi 20 novembre 2019. J’ai une accréditation pour les médias qui me permet d’assister à tous les spectacles. C’est aussi dans le cadre de ce festival que Maybe WATSON lance son nouvel album. Malheureusement, impossible de m’y rendre, car je pars dans la communauté autochtone d’Odanak.
Ce mercredi soir, j’hésite un temps à aller au festival. La fatigue me conseille d’aller me coucher, mais mes oreilles veulent vibrer au son de nouvelles voix. Surtout ce que celles-ci sont toutes féminines : Prado (hip hop), Naya ALI (hip hop) et Lydia KEPINSKI (pop). J’ai surtout la chance d’avoir ce pass média. Il faut donc que je partage l’expérience avec vous, chers Globe Reporters ! Je surmonte donc ma fatigue et heureusement. Car, outre la musique, je fais une bien belle rencontre que je veux vous raconter.
En rentrant dans Sala Rossa, la salle où s’était produit Half Moon Run en 2012, un des meilleurs concerts auquel j’ai pu assister, je cherche un endroit où m’asseoir et trouve une chaise à côté d’un monsieur à casquette. Il a des yeux rieurs. Celui-ci voit mon pass et me demande pourquoi la moitié de la salle a des cordons verts ou rouges autour du cou. Je lui explique que le festival est surtout destiné aux « délégués », promoteurs de concerts et journalistes internationaux qui veulent découvrir les futures voix montréalaises. Ils ont donc un pass pour assister à tous les concerts gratuitement.
Lui a payé sa place pour voir une de ses artistes favorites, Lydia KEPINSKI. Il l’a déjà vu huit fois. « C’est une des meilleures expériences de ma vie, elle est incroyable » m’annonce-t-il. Je décide donc de rester pour voir cette fameuse chanteuse. Lydia est une jeune artiste émergente, surtout célébrée par un public jeune et branché.
Lydia KEPINSKI sur scène à M pour Montréal 2019
J’ai oublié un détail important. Michel, le monsieur avec la casquette, a 65 ans. Il détonne donc au milieu du public du concert. Il me raconte avoir commencé à assister à des concerts en live après sa retraite, en 2014. Depuis, il est devenu accro. « J’ai été soudeur et enseignant en soudure toute ma vie. Je crois que les seuls concerts que j’ai vus avant, c’était quand j’étais adolescent », précise-t-il.
Michel n’a jamais vécu en ville, mais à la campagne. Il a toujours habité au Québec, sauf quand il a travaillé en Alberta. Il parle avec un doux accent québécois qui fait légèrement rouler les « r ». Il m’avoue qu’avant, il n’osait pas vraiment parler aux gens, mais que cette nouvelle vie de concerts l’a désinhibé.
Il me raconte qu’il a découvert beaucoup d’artistes à la télévision, grâce à l’émission Belle et Bum de Télé Québec. Dans cette émission, des artistes célèbres ou émergents se produisent sur scène pendant quelques minutes. C’est aussi là qu’il découvre Lydia KEPINSKI. Même s’il habite à cent kilomètres au sud de Montréal, dans les montagnes des Appalaches, il vient régulièrement dans la métropole pour voir des concerts. Accompagné par sa femme, ses petites filles - « le bonheur de sa vie » -, ou seul, peu importe, il y va. Il a vu des dizaines d’artistes français et québécois, dont Orelsan. « Mes petites filles l’adorent. Moi je ne suis pas très fan de rap, mais Orelsan est bon. »
Je lui dis que je suis impressionnée de voir une personne de 65 ans s’intéresser autant à de jeunes artistes et à de nouveaux styles de musique. « La musique, c’est la douceur de la vie, me répond-il. Je vois les gens de mon âge qui vont voir des gros groupes comme AC/DC au Centre Bell. Je trouve dommage qu’ils n’aillent pas dans les petites salles découvrir de nouveaux artistes. Moi je vais le faire jusqu’à ce que je ne puisse pu me déplacer ».
Son rêve ? Voir Mylène FARMER en concert. « Elle n’a jamais joué ici, alors qu’elle est née au Québec » me précise-t-il.
Lydia KEPINSKI apparaît sur scène. Tout de suite, il se lève de sa chaise et chante les paroles. C’est vrai que cette chanteuse a une sacrée énergie. Cela ne m’étonnerait pas qu’elle se fasse connaître en France.
Après le concert, il me conduit en voiture jusqu’à mon hébergement, car il n’y a plus de métro. Sur son téléphone, il a sa propre playlist. « Ma femme écoute de la musique plutôt zen chez nous. Ma musique à moi n’est pas vraiment zen. Je l’écoute donc dans ma voiture », dit-il en riant.
Quelques jours plus tard, il m’envoie un mail pour m’inviter avec lui, sa femme et des amis, à assister à l’émission Belle et Bum du 28 novembre. Je serai à ce moment-là à Trois-Rivières. Et il ajoute.
« J’ai parcouru les reportages de Cap sur Québec, félicitations ! Et merci de faire connaître notre pays au monde. Le Québec est une terre d’asile et le sera de plus en plus dans l’avenir, c’est important. Je me suis rendu compte et j’ai compris à quel point vous pouvez être occupée. Votre travail est géant. C’est ça la vie de reporter, je suppose, toujours en action ? Ce doit être passionnant. Vous aimez vous amuser, ça aussi c’est important. »
Exactement. Ajoutons les rencontres improbables qui jalonnent les reportages. Car, comme le prouve l’histoire de Michel, il n’est jamais trop tard pour s’amuser, être passionné et curieux !
Novembre 2019