L’avenir de la cuisine roumaine, ce sont les régions

Publié le 3 février 2019

Tiberiu CAZACIOC est un blogueur culinaire et un défenseur d’une alimentation de qualité. Il répond aux questions d’Alex, Lucas et Alexandre, du lycée Einstein, à Sainte-Geneviève-des-Bois.

Vie quotidienne

Tiberiu Cazacioc s’y connaît en bonne chère : il est militant slow food, un mouvement né en Italie qui prône une alimentation bonne et saine, produite localement. Il anime un blog culinaire, il participe à des émissions de télé autour de l’alimentation...

Quand l’envoyée spéciale l’appelle pour fixer un lieu pour l’interview, elle lui demande de choisir un endroit intéressant, sur le plan culinaire. Tiberiu Cazacioc donne rendez-vous au restaurant Ivan Pescar et Scrumbia bar, ouvert en janvier 2018 par l’ancien champion olympique Ivan Patzaichin et deux associés. C’est un établissement spécialisé dans la cuisine du delta du Danube, dont est originaire l’ancien champion. Tiberiu vient aussi de cette région. Il est membre de l’association créée par Ivan Patzaichin, pour promouvoir le Delta et ses traditions.

Tiberiu a aussi défendu le dossier pour décrocher une Indication géographique protégée (IGP) pour la scrumbia fumée du Danube, un poisson très typique de la région, qui remonte le fleuve, depuis la mer Noire, pour se reproduire. L’IGP a été obtenue en décembre. Il a un autre dossier sur le gril, pour la salade d’oeufs de brochets de Tulcea.

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je m’appelle Tiberiu Cazacioc, je suis spécialisé dans les indications géographiques protégées. Je suis un activiste slow food, je travaille dans le marketing / dans la promotion des produits locaux. Le slow food c’est un mouvement international qui a son siège en Italie, il promeut le "good, fair and clean" c’est à dire le “ bon, équitable et bien préparé”, l’alimentation artisanale. 

Quelles sont les spécialités culinaires en Roumanie ? 

Il y a un débat sur cela. Car tout est pointé sur le sarmale : ce sont des rouleaux de feuilles de choux farcies à la viande de porc et de boeuf bouillis, servis avec de la mamaliga (de la polenta). Mais ce sont des plats très communs et ils ne représentent pas la richesse des régions roumaines. Ce sont des plats qui sont servis dans toutes les fêtes et les repas familiaux. On doit connaître les cuisines et les terroirs régionaux, leur diversité. C’est ça le futur. 

Moi j’aime bien la soupe de poisson du Delta du Danube, la storceag, à base d’esturgeon. Il est interdit de le pêcher, mais il y a de l’aquaculture. 

A quelle heure mange-ton et combien de fois par jour ? 

Les Roumains mangent trop : le matin, à midi, le soir à 20 heures ou 22 heures. Ils mangent souvent des choses peu coûteuses et toutes sortes de fast-food. Trois fois par jour c’est trop, car beaucoup de personnes travaillent dans les bureaux et ne font aucun effort. Avec l’estomac plein, une alimentation pleine de viande, c’est trop pour les gens qui ne bougent qu’en voiture, restent au bureau etc...

Le petit déjeuner se compose de fromage comme la telemea, qui est comme de la feta, de légumes comme les tomates ou les cornichons quand c’est la saison, et de charcuterie comme le salami, par exemple.

Est ce que les fast-foods sont aussi présents qu’en France ?

Oui, ils sont très présents. Dès la chute du régime communiste, ils ont été perçus comme un luxe. Manger dans un fastfood, ce n’est pas pour les gens qui n’ont pas de ressources, les lycéens le fréquentent beaucoup. C’est assez cher, on a un repas pour 10 euros, dont tu ne te souviens pas après 2,3 heures. Ils sont nombreux dans les grandes villes et destinés aux classes moyennes. En Europe occidentale, c’est une clientèle plus populaire. Ici, on y fête les anniversaires, c’est de la folie. 

Est ce que les Roumains mangent souvent en famille ? 

Oui, la culture du repas en famille est très répandue lors des grandes fêtes chrétiennes qui sont aussi des fêtes de famille : Pâques, Noël... Les informations lors des périodes de fêtes consacrent de nombreux reportages aux gens qui achètent leur provisions, préparent des repas, font du tourisme etc... On montre des tables pleines de mets, comme celle de Gargantua. Ce n’est pas bon, il y a une fièvre de la consommation : "si les autres achètent, je dois aussi acheter et faire une grosse table". 

Et au quotidien ? Les gens mangent en famille ? 

Au quotidien, non, juste le week-end et le soir. Ce qui est inquiétant et qui probablement se passe aussi en France, c’est que les gens utilisent la tablette, le smartphone, la télé. Oui ils mangent en famille mais chacun avec son outil, à côté de l’assiette. En famille mais devant Netflix...

Est ce que les Roumains ont accès à une nourriture saine et nutritive ?

Non, mais c’est une tendance globale et internationale. Les statistiques d’Eurostat, l’agence européenne de statistiques, montrent que beaucoup de gens sont pauvres. Il y a de plus en plus de grandes chaînes de supermarché, cela cause une sélection des filières, au détriment des petits fermiers qui ne sont pas en contact avec les clients sauf dans les marchés. Le problème est le pouvoir d’achat. Avoir accès aux bons repas, frais et sains, c’est une question d’argent. En France j’ai vu dans les magasins des tas de produits de qualité AOC, IGP, etc... C’est bon. On doit pousser dans cette direction pour avoir une production plus massive et baisser les prix. C’est l’avenir, pas demain mais dans 10 ou 15 ans. La croissance de la production qui est saine et qui est localisée et fait le lien avec le terroir.

Bonus : pourtant en Roumanie, il y a beaucoup de bons produits, on cultive encore son jardin. Il y a un attachement aux produits de la terre, produits par la famille, non ?

Oui le débat que j’ai mentionné au début est aussi en lien avec cela. Il y a un intérêt pour des cuisines régionales, dans quelques villes il y a le souci de faire le lien avec les fermiers locaux. En vérité, c’est un problème, survenu avec l’entrée dans l’Union européenne : la standardisation et l’agriculture industrielle a pris une sorte d’essor. Les semences locales originaires de Roumanie, ont été poussées un peu de côté. Mais il y a un mouvement qui croit à cette filière liée aux territoires, aux terroirs etc... 

Un dernier mot ?

Nous sommes en train de découvrir le terroir et la diversité. Cela commencé il y a 4, 5 ans. C’est l’avenir, les gens veulent découvrir leur identité culinaire et alimentaire, pas celle au rabais du supermarché. 

Sources photographiques

Tiberiu Cazacioc
Tiberiu Cazacioc
L’interview a eu lieu dans le restaurant « Ivan Pescar et scrumbia bar », spécialisé dans la cuisine du delta du Danube, à base de poisson.
L’interview a eu lieu dans le restaurant « Ivan Pescar et scrumbia bar », spécialisé dans la cuisine du delta du Danube, à base de poisson.
En entrée, il y a plusieurs soupes au choix, ici une soupe de poissons
En entrée, il y a plusieurs soupes au choix, ici une soupe de poissons
Du carrelet grillé, avec de la mamaliga
Du carrelet grillé, avec de la mamaliga
La scrumbia (« alose », en français), un poisson typique du Danube. Tiberiu Cazacioc a contribué à faire de l’alose fumée du Danube un produit sous Indication géographique protégée (IGP)
La scrumbia (« alose », en français), un poisson typique du Danube. Tiberiu Cazacioc a contribué à faire de l’alose fumée du Danube un produit sous Indication géographique protégée (IGP)
Le rapana, un mollusque classé comme espèce invasive, mais comestible.
Le rapana, un mollusque classé comme espèce invasive, mais comestible.
Le vin servi dans le restaurant est produit dans la région qui se situe entre la côte de la mer Noire et le Danube : elle s’appelle la Dobrogea.
Le vin servi dans le restaurant est produit dans la région qui se situe entre la côte de la mer Noire et le Danube : elle s’appelle la Dobrogea.
L’association Ivan Patzaichin – Mila 23 a fait une enquête sur les traditions culinaires des habitants du Delta. Le livre, paru en 2012, s’appelle : « A table avec les gens du Delta ».
L’association Ivan Patzaichin – Mila 23 a fait une enquête sur les traditions culinaires des habitants du Delta. Le livre, paru en 2012, s’appelle : « A table avec les gens du Delta ».
Tiberiu Cazacioc
L’interview a eu lieu dans le restaurant « Ivan Pescar et scrumbia bar », spécialisé dans la cuisine du delta du Danube, à base de poisson.
En entrée, il y a plusieurs soupes au choix, ici une soupe de poissons
Du carrelet grillé, avec de la mamaliga
La scrumbia (« alose », en français), un poisson typique du Danube. Tiberiu Cazacioc a contribué à faire de l’alose fumée du Danube un produit sous Indication géographique protégée (IGP)
Le rapana, un mollusque classé comme espèce invasive, mais comestible.
Le vin servi dans le restaurant est produit dans la région qui se situe entre la côte de la mer Noire et le Danube : elle s’appelle la Dobrogea.
L’association Ivan Patzaichin – Mila 23 a fait une enquête sur les traditions culinaires des habitants du Delta. Le livre, paru en 2012, s’appelle : « A table avec les gens du Delta ».

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