La statue de Lénine a disparu !

Publié le 13 mars 2019

Ioana CIOCAN est artiste et commissaire d’exposition. Elle a organisé une série d’expositions d’art contemporain, là où se tenait jusqu’en 1990 la statue de Lénine, et a essayé de créer un parc avec toutes les statues du communisme. En vain, raconte-t-elle à Marco, Enzo, Enzo et Safuat, globe-reporters en seconde au lycée Arago, à Perpignan. Un reportage aux allures d’enquête policière.

Economie, histoire et politique

Pour parler de la statue de Lénine, avant de rencontrer Virgil Stefan NITULESCU, notre envoyée spéciale Élodie contacte une autre personne : l’artiste et commissaire d’exposition Ioana CIOCAN, également vice-présidente de l’Union des artistes plasticiens de Roumanie. Elle a mené, entre 2010 et 2014, un projet d’art contemporain, à l’endroit où se trouvait la statue de Lénine, avant d’être déboulonnée : 20 artistes ont alors exposé des oeuvres éphémères sur l’ancien socle.

Ioana CIOCAN est alors en Chine dans le cadre d’une mission. Et elle recontacte l’envoyée spéciale à son retour. Élodie pense que ce serait un bon complément à la première interview sur le sujet. Et là, rebondissement : lors de la rencontre avec Virgil Stefan NITULESCU, nous avons appris que Lénine est bien à l’abri, dans un dépôt municipal. Mais voilà que ce dépôt n’existe plus, nous informe Ioana CIOCAN. Voici son témoignage.

« En 1962, un concours a été organisé, pour installer une statue de Lénine. Il n’y en avait pas en Roumanie, ce qui était rare en Europe de l’Est. Dans les autres pays, il y en avait beaucoup. Boris CARAGEA, un célèbre sculpteur, a gagné le concours.

En mars 1990, un groupe de gens a décidé de renverser cette statue. Ils ont fait appel à d’anciens étudiants de CARAGEA, pour savoir comment faire, car ce n’était pas facile, techniquement. Ils ont appelé un prêtre pour bénir leur initiative et fait venir un grutier. Après, la statue a d’abord été mise dans un endroit qui appartient à l’Union des artistes plasticiens, qui sert pour les sculptures monumentales. Puis il a été décidé de la bouger au palais Mogosoaia. Là-bas, la statue a été utilisée par de nombreux artistes et photographes pour des performances, des prises de vue, etc. Elle y est restée jusqu’en 2011.

Pendant ce temps, le socle de Lénine, devant la Maison de la presse libre, restait vide. Je passais devant régulièrement et je me suis dit que ça serait un très bel espace pour exposer de l’art contemporain. J’ai décidé de commencer un projet, que j’ai appelé le « Projet 1990 ». J’ai obtenu un permis pour faire des expositions temporaires.

Je savais que ça serait un projet éphémère, car le gouvernement avait décidé, par une ordonnance de 2003, de remplacer cette statue par un monument. Une décision stupide, il n’y a pas eu de concours, ni aucune réflexion. Mais comme c’était un projet pharaonique, cela a pris des années pour se faire et n’a été inauguré qu’en 2016.

Entre 2010 et 2014, il y a eu 20 projets présentés sur le socle de Lénine. J’ai fait le premier, car personne ne voulait se lancer. J’ai fait une sculpture de Lénine, en polystyrène. L’impact a été énorme. Je suis passée dans toutes les télés. J’ai même eu un garde du corps pendant 6 mois, parce qu’il y a eu des réactions vives. J’ai reçu des menaces, les gens me traitaient de communiste.

En 2011, j’ai demandé à recueillir les reliques du communisme. L’objectif était de créer un parc thématique, comme il en existe dans tous les anciens pays communistes d’Europe de l’Est. Nous sommes le seul qui n’en a pas. Le maire de l’époque, Sorin OPRESCU, a donné son accord. J’ai pu récupérer sept reliques : dont la statue de Lénine et celle de Petru GROZA, que j’ai rapatriées de Mogosoaia. Il y en avait une autre avec les visages de Marx, Engels et Lénine, qui était dans l’herbe, derrière le Musée national du paysan.

Mais en 2014, Sorin OPRESCU a été arrêté et placé en détention provisoire pour des accusations de corruption et tout s’est arrêté. Aujourd’hui, le dépôt de Tei TOBOC n’existe plus, il a été démoli et à la place, il y a des immeubles en construction. J’ai demandé ce qu’étaient devenues les statues, je n’ai jamais eu de réponse. A l’époque, c’était comme une mission pour moi, mais je me suis fatiguée de cette histoire. C’est un sujet sensible, c’est probablement pourquoi il n’y a pas de musée du communisme à Bucarest. »

Sources photographiques

Ioana CIOCAN.
Ioana CIOCAN.
Ioana CIOCAN devant la statue de Lénine, en 2012 (photo Ioana Ciocan).
Ioana CIOCAN devant la statue de Lénine, en 2012 (photo Ioana Ciocan).
La statue de Lénine en gros plan (photo Ioana Ciocan).
La statue de Lénine en gros plan (photo Ioana Ciocan).
Entre 1990 et 2010, la statue de Lénine (au fond) et celle de Petru GROZA (au premier plan), le premier chef de gouvernement communiste roumain, gisaient par terre, derrière le palais de Mogosoaia, dans la lointaine banlieue de Bucarest. (photo Ioana Ciocan)
Entre 1990 et 2010, la statue de Lénine (au fond) et celle de Petru GROZA (au premier plan), le premier chef de gouvernement communiste roumain, gisaient par terre, derrière le palais de Mogosoaia, dans la lointaine banlieue de Bucarest. (photo Ioana Ciocan)
La statue de Lénine, aux côtés de celle de Petru GROZA. (photo Ioana Ciocan).
La statue de Lénine, aux côtés de celle de Petru GROZA. (photo Ioana Ciocan).
La première œuvre installée sur le socle de Lénine, dans le cadre du « Project 1990 » : une statue de Lénine en polystyrène, signée Ioana Ciocan.
La première œuvre installée sur le socle de Lénine, dans le cadre du « Project 1990 » : une statue de Lénine en polystyrène, signée Ioana Ciocan.
« Hidra », de Costin IONITA.
« Hidra », de Costin IONITA.
« Somnul lui Lenin » (« Le sommeil de Lénine »), de Mihai ZGONDOIU.
« Somnul lui Lenin » (« Le sommeil de Lénine »), de Mihai ZGONDOIU.
« Melting », de Judit BALKO.
« Melting », de Judit BALKO.
« Monumentul beton », de Florin B. TOMESCU.
« Monumentul beton », de Florin B. TOMESCU.
Ioana CIOCAN.
Ioana CIOCAN devant la statue de Lénine, en 2012 (photo Ioana Ciocan).
La statue de Lénine en gros plan (photo Ioana Ciocan).
Entre 1990 et 2010, la statue de Lénine (au fond) et celle de Petru GROZA (au premier plan), le premier chef de gouvernement communiste roumain, gisaient par terre, derrière le palais de Mogosoaia, dans la lointaine banlieue de Bucarest. (photo Ioana Ciocan)
La statue de Lénine, aux côtés de celle de Petru GROZA. (photo Ioana Ciocan).
La première œuvre installée sur le socle de Lénine, dans le cadre du « Project 1990 » : une statue de Lénine en polystyrène, signée Ioana Ciocan.
« Hidra », de Costin IONITA.
« Somnul lui Lenin » (« Le sommeil de Lénine »), de Mihai ZGONDOIU.
« Melting », de Judit BALKO.
« Monumentul beton », de Florin B. TOMESCU.

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