Qui sont les Allemands de Roumanie ? Beatrice Ungar, rédactrice en chef du journal allemand Hermannstaedter Zeitung à Cluj, répond aux élèves de 6e de Camille Claudel à Paris.
Culture et francophonie
Qui êtes-vous ?
Je m’appelle Beatrice Ungar, je suis rédactrice en chef du journal Hermannstädter Zeitung. C’est un hebdomadaire écrit en allemand, édité à Sibiu. Il existe depuis 88 ans. Nous sommes quatre rédacteurs et deux autres employés. Ensemble nous parlons allemand ou parfois roumain.
Quelle est l’origine de la communauté allemande en Roumanie ?
Quand les Allemands sont arrivés ici, le pays ne s’appelait pas la Roumanie. C’était le royaume de Hongrie. Les Allemands ont amenés sur le territoire par le roi de Hongrie pour garder les frontières du sud de la Transylvanie. Les premiers colons allemands sont arrivés il y 895 ans. Ils venaient du Luxembourg, de la Moselle, des Flandres. On les appelait les Saxons de Transylvanie, ils avaient de nombreux privilèges. Les premiers journaux allemands sont apparus il y a sept siècles en Roumanie.
En 1918, quand l’Etat roumain s’unifit, on inscrit dans la constitution la reconnaissance de 18 minorités ethniques non roumanophones : les Roms, les Juifs, les Grecs, les Polonais, les Allemands… Les minorités reconnues sont dans le pays depuis très longtemps.
La Roumanie est une exception : elle reconnaît le droit à ces minorités de conserver leur identité et leur langue. Ce n’est pas le cas en France. Chaque minorité de Roumanie est représentée au Parlement par un député. Moi j’ai un passeport roumain sur lequel il est écrit « nationalité : allemande – citoyenneté : roumaine ». Le pays distingue la citoyenneté qui est le droit du sol et la nationalité qui est le droit du sang.
Les germanophones sont-ils nombreux ? Dans quelle région vivent-ils ?
Lors du recensement de 2011, nous avons compté 30 000 Allemands en Roumanie. Ce nombre est stable. Ils sont concentrés dans le Banat (ouest) et la Transylvanie (centre), dans les villes de Timisoara, Cluj, Sibiu, Satu Mare et Sighisoara. Les germanophones sont encore plus nombreux. L’allemand est une langue attractive pour les jeunes car elle permet de travailler en Allemagne, en Autriche et en Suisse.
- En allemand, Sibiu se dit Hermannstadt
Est-ce que l’allemand était autorisé sous Ceausescu ?
Tout à fait. Notre journal existait déjà et sortait normalement. Mais les publications étaient vérifiées par le parti communiste.
- Trois journaux allemands qui paraissent en Roumanie
Comment se passe l’enseignement des langues étrangères à l’école pour les roumains germanophones ?
Je suis née à Sibiu dans une famille allemande. L’allemand est ma langue maternelle. J’ai appris le roumain à l’école à partir de 6 ans. C’est une langue étrangère pour moi. Puis le français et l’anglais. Il y a des écoles allemandes dans toutes les villes roumaines où il y a une communauté assez grande. Tous les cours sont en allemand dans ces écoles. A Sibiu, par exemple, il y a 16 crèches allemandes. Mais aujourd’hui, il y a plus d’enfants de familles roumaines dans ces crèches que d’enfants issus de la communauté allemande. Les parents roumains considèrent qu’apprendre l’allemand sera un plus sur le marché du travail.
Mise à part la langue, quels liens (points communs) avez-vous avec les allemands ?
Nous avons la même histoire et une longue coopération culturelle et économique. De nombreux Roumains vont travailler en Allemagne et inversement.
Les panneaux, les affiches publicitaires, les formulaires administratifs sont-ils dans les deux langues ?
Non. Il y a seulement le panneau à l’entrée de la ville qui indique « Sibiu » et « Hermannstadt ». D’après une légende, Hermann serait le fondateur de la ville de Sibiu. Ce monsieur a eu une statue pendant un moment à l’entrée de la ville, mais elle n’existe plus. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’annuaire était en allemand et en roumain. Après l’unification de la Transylvanie à la Roumanie en 1945, l’annuaire est devenu seulement en roumain. Il y a deux librairies allemandes à Sibiu, la traduction de livres roumains en allemand est très dynamique.
- Librairie allemande dans Sibiu
Qu’avez-vous ressenti à l’élection du nouveau président Klaus Iohannis ?
C’est une petite révolution qui confirme que nous sommes bien vus par les Roumains. Cela montre que les compétences passent avant les origines ou les croyances religieuses [Iohannis est luthérien, alors que 95% des Roumains sont orthodoxes]. C’est une chance pour développer la communauté. Actuellement, nous avons déjà une émission trois jours par semaine à la télévision publique nationale, ainsi qu’une émission sur la radio publique en allemand.
En quoi le fait d’appartenir à la communauté des roumains germanophones est un plus pour diriger le pays ?
Iohannis a fait de bonnes choses en tant que maire de Sibiu depuis 2000. De nombreux investisseurs sont arrivés et la ville s’est clairement améliorée grâce à sa bonne gestion. Le tourisme roumain et étranger s’est beaucoup développé. On peut espérer qu’il aura autant de succès en tant que président.
Pensez-vous que cela puisse lui poser des problèmes ?
Pendant la campagne électorale, ses origines allemandes ont été très souvent montrées du doigt par les autres candidats pour le discréditer. Mais cela ne l’a pas empêché de gagner.
Klaus Iohannis est en visite à Paris et à Bruxelles les 10 et 11 février.
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