« S’il vous plaît, racontez-nous une légende du Delta », ont demandé les globe-reporters du collège Racine dans leur questionnaire sur la vie quotidienne dans l’embouchure du Danube. L’envoyée spéciale s’est prise au jeu.
Vie quotidienne
Lors de sa première interview à Tulcea avec Mihai Petrescu, chercheur au Centre écotouristique, Elodie lui demande si, par hasard, il connait des légendes du delta. Bingo ! Si Mihai Petrescu est botaniste, il s’intéresse à beaucoup d’autres choses, et notamment aux légendes du Delta. Il les recueille auprès des vieilles personnes qu’il rencontre lors de ses explorations de la région. « Je leur demande toujours de me raconter une histoire de leur enfance. Parfois ils se souviennent, parfois non. Je les note et j’espère les publier un jour parce que, si on ne le fait pas, elles vont se perdre définitivement », explique-t-il.
Elle interroge aussi Petre Vasiliu, qui a grandi et vit encore dans le Delta. A son tour il lui en raconte une.
Pour compléter cette petite collection, elle tente sa chance au Musée d’ethnographie de Tulcea, qui est spécialisé dans les traditions régionales. Elle y rencontre le chercheur Alexandru Chiselev, qui lui raconte pleins d’autres histoires ! Le musée a organisé une exposition sur le sujet, il y a quelques années.
« La principale caractéristique de la région, c’est la diversité des ethnies, explique Alexandru Chiselev en introduction. Dans le Delta, on trouve des Russes lipovènes, des Ukrainiens, des Roumains et des Grecs. » Chacune de ces minorités a ses légendes, mais « beaucoup sont liées à l’eau, avec des personnages aquatiques maléfiques, parce que l’eau est le danger principal dans le delta ».
Voici quelques unes des légendes et croyances qu’il veut vous raconter :
« Il y a l’histoire de Filipca, une légende qui vient des Ukrainiens. Elle ressemble au conte d’Hansel et Gretel, avec un personnage maléfique qui s’appelle Baba Yaga. Filipca, fille d’un pêcheur, doit aller emmener le repas à son père, mais elle se perd en chemin. Baba Yaga l’attire dans sa maison, dont les piliers sont des pieds de poule ! Elle veut manger Filipca mais, au moment où elle s’apprête à la passer au four, la petite lui dit qu’elle ne sait pas comment se mettre sur la pelle qui sert à enfourner. Baba Yaga lui dit : « Je vais te montrer ! ». Alors Filipca la pousse dans le feu et s’enfuit. »
« Il y a beaucoup de représentations maléfiques aquatiques. Comme les Roussalkis, les esprits des jeunes filles mortes noyées. Elles sont réputées être très actives le jour de la saint Jean-Baptiste, le 24 juin. Il ne faut surtout pas se baigner ce jour-là. Les apercevoir est synonyme de mort. Il y a une forme masculine équivalente, les Uripi. Ce sont des gens décédés, qui ne laissent pas les vivants tranquilles. Ils attaquent la nuit, dans les rêves. Ils sont particulièrement actifs et dangereux le jour de la Saint-André, le 30 novembre. Ce jour-là, on met de l’ail sur le rebord des fenêtres, pour les éloigner. Les Uripis sont dans les croyances des Russes Lipovènes et des Ukrainiens. Ils sont répandus sous d’autres noms et d’autres formes dans toute la Roumanie. »
« La Samca est la personnification d’une maladie qui touche les nouveaux-nés. Pour s’en protéger, les gens mettent des objets métalliques dans le lit du bébé et font des incantations magiques. C’est une légende roumaine, mais très répandue dans le Delta, car cette maladie est favorisée par l’humidité. »
« A Sfântu Gheorghe, il y a la légende de Faraon et Faraoanca, des personnages aquatiques qui ressemblent à des sirènes. On raconte que si Faraon est attrapé dans un filet de pêche, Faraoanca crie de douleur. Si tu l’entends pleurer, c’est que quelqu’un va prochainement mourir dans l’eau, comme un tribut pour la prise de Faraon. »
« Pour expliquer la formation du bois de Letea, en plein milieu du delta, il y a une légende qui raconte qu’un bateau grec, transportant des glands, a été pris au piège dans les courants. Pour s’alléger, on a jeté les sacs de glands par-dessus bord, mais le bateau a quand même fait naufrage. Petit à petit, la forêt a poussé et les Grecs qui habitent le delta l’ont appelée Letea, car la femme du capitaine du navire s’appelait Lete. »
« Chez les Russes Lipovènes, le Bannik est l’esprit du bain (une sorte de sauna, traditionnel). La quatrième mise à feu du bain était réservée au Bannik, qui agresse les personnes venant exprès pour le déranger. »
Sources photographiques
Bannik, l’esprit du bain chez les Russes Lipovènes (dessin d’Ivan Bilibine).
Représentation de l’histoire de Filipca et Baba Yaga, au musée d’ethnographie de Tulcea.
Le bras de Sfântu Gheorghe. La légende dit que ce saint a terrassé un dragon. C’est après avoir été blessé que le dragon a formé les méandres de ce bras.
Dans le Delta, plusieurs ethnies cohabitent. Ici, les villages et villes où habitent des Russes Lipovènes.
Là, les villages où on trouve des Ukrainiens.
Alexandru Chiselev, chercheur au Musée d’ethnographie de Tulcea.
Mihai Petrescu, botaniste au Centre écotouristique de Tulcea.
Petre Vasiliu, habitant de Crisan et guide touristique.
Sources sonores