Virgil Stefan NITULESCU est docteur en histoire et travaille au ministère roumain de la Culture. Il répond aux questions de Marco, Enzo, Enzo et Safuat, du lycée Arago à Perpignan.
Economie, histoire et politique
Virgil Stefan Nitulescu est l’ancien directeur du Musée du paysan roumain. Notre envoyée spéciale le sollicite pour avoir des contacts dans ce musée et elle apprend à cette occasion qu’il travaille maintenant au ministère de la Culture. Elodie lui demande s’il sait à qui elle peut poser des questions sur la statue de Lénine et il se propose d’y répondre.
Virgil Nitulescu est docteur en histoire et a travaillé toute sa vie dans les institutions publiques culturelles. Il a même été secrétaire d’Etat à la Culture en 2005-2006. L’interview a lieu au ministère de la Culture, qui est collé à la Bibliothèque nationale. Pour la petite histoire, ce bâtiment a été commencé au début des années 80, pendant la période communiste. Il a été laissé à l’abandon pendant de longues années, après la révolution. Les travaux ont finalement été repris, en 2007, et le bâtiment a été inauguré en 2011 !
-Quelle est l’histoire de cette statue ?
Dans les années 50, la Roumanie, comme d’autres pays du bloc communiste, a été obligée de bâtir une sorte de Palais qui ressemblait à l’Université de Lomonosov à Moscou. ce Palais a été baptisé Casa Scinteia (l’étincelle en français) du nom de l’organe de presse offciel du Parti communiste. Ce Palais était aussi le siège du ministère de la Culture , de l’agence nationale de presse etc... (Aujourd’hui Casa Presei Libre : la maison de la presse libre).
En face on a inauguré une statue de Lénine en avril 1960, un jour avant son anniversaire. La statue a été sculptée par un artiste très célèbre à l’époque Il a réalisé des bustes de Marx, de Staline. Le stalinisme s’est achevé en 1956 en URSS avec le XXeme Congrès du parti, mais cela s’est prolongé en Roumanie. le dictateur de l’époque : Gheorghiu Dej a voulu rester au pouvoir, donc il a gardé le style de leadership stalinien jusqu’au début des années 60.
-Pourquoi la statue était-elle devant la Casa Presei Libere ?
A ce moment ce bâtiment ne s’appelait pas comme cela, mais était un symbole du pouvoir soviétique en Roumanie, c’était normal d’avoir une statue de Lénine qui lui faisait face. Une statue de Staline se trouvait aussi pas très loin, mais elle a été détruite quand les troupes soviétiques se sont retirées de Roumanie en 1958. La statue de Lénine est restée jusqu’en mars 1990. Un ouvrier qui avait pris part à la révolution est venu avec un outil et a commencé à démolir la statue de Lénine. Il reçu le soutien de milliers de personne qui l’ont aidé. Pour les Roumains ce n’était pas une oeuvre d’art mais un symbole du régime communiste installée par l’URSS, qui a occupé la Roumanie. C’était illégal de détruire cette statue, mais les autorités ont été prises par surprise et n’ont rien pu faire. A ce moment là, la mairie a décidé de déplacer la statue à l’extérieur au Palais Mogosoaia, un palais princier roumain, qui date du XVIIeme siècle.
-Qu’est devenue cette statue ?
Jusqu’en 2011, elle est resté devant ce Palais, allongée dans l’herbe. Il y a eu plusieurs tentatives de “découper” la statue qui était en bronze, pour récupérer le métal ou simplement pour la vandaliser. Puis elle a été stockée dans un dépôt où reposent d’autres oeuvres d’art, symboles du communisme. Personne n’a pris la décision d’en faire quelque chose. On a parlé d’un projet de musée sur la lutte contre le régime communiste, si cela se réalise, j’espère que la statue de Lénine, y trouvera sa place.
-A-t- elle été détruite, fondue, achetée par un collectionneur ou exposée ?
Aucune de ces options, elle est cachée maintenant. Immédiatement après la chute de la dictature, le bâtiment devant lequel elle était a changé de nom et s’est appelé la maison de la presse libre.
-Par quoi a été remplacée la statue de Lénine ?
A la place de cette statue a été réalisé un monument qui s’appelle “Aripi”, cela signifie “Ailes” . C’est un monument à la gloire de la lutte contre le régime communiste. ce monument a été inauguré en 2016 seulement. C’est une sculpture abstraite qui représente une idée pas une personne, contrairement au monument de Lénine qui était figuratif.
Entre 1990 et 2016, seul le socle en marbre rouge est resté. Pendant 6 ou 7 ans on y a installé des monuments temporaires réalisés par des artistes contemporains. A chaque fois pendant quelques mois. C’était un projet soutenu par la mairie de Bucarest. Tous les thèmes étaient abordés.
-Pourquoi, pendant aussi longtemps, aucune décision n’a été prise sur le devenir de la statue de Lénine ?
Personne n’a pris une décision d’en faire quelque chose. A Budapest des parcs ont été créés ou des statues de l’ère communiste sont exposées. C’est une décision politique et aussi de management culturel. Nous sommes dans la 3ème décennie après la chute du communisme, pour la génération actuelle, c’est un sujet éloigné. Pour la majorité de la population c’est une période irréelle , moi je me souviens bien de cette statue pendant ma jeunesse. Mais même pour moi cela paraît loin. Aujourd’hui les jeunes ne se sentent pas concernés.
Est ce que ca doit être une décision d’un gouvernement ? Cela peut être aussi une décision de la mairie de Bucarest. Les autorités ont peut être manqué de volonté politique, et si on pense à un musée, c’est aussi un investissement financier de faire une institution consacrée à une période sous laquelle les Roumains ont souffert.
-Un dernier mot pour les globe-reporters ?
Je conseille aux globe-reporters de regarder un film réalisé par Claude Lelouch, tourné en Roumanie. Il s’agit du film Ces amours là, sorti en 2010. Il a tourné au Palais Mogosoaia, et on peut voir la statue de Lénine abandonnée dans l’herbe.
Sources photographiques
Virgil Stefan Nitulescu
Le ministère de la Culture est collé à droite de la Bibliothèque nationale.
Un nouveau monument a été installé en 2016, devant la Maison de la presse libre, à l’emplacement de la statue de Lénine. Il s’appelle « Aripi », « les ailes ».
« Les ailes, en mémoire des combattants de la résistance anticommuniste 1945-1989 ».