La journaliste Marine LEDUC, notre envoyée spéciale en Louisiane, est bien arrivée. Elle nous raconte ses premières impressions et rencontres à La Nouvelle-Orléans.
Carnet de route
Chères globe-reportrices et chers globe-reporters,
Ici Marine, votre envoyée spéciale en Louisiane. Je suis bien arrivée à La Nouvelle-Orléans, alias "Nola" ou la "Big Easy", la ville du jazz, des repas créoles et des maisons colorées. Avant de commencer vos reportages, je suis restée quelques jours dans une petite auberge de jeunesse située dans une maison ancienne, toute peinte en rose. Cela m’a permis de rencontrer des voyageurs, de visiter le centre-ville à pied et de longer le Mississippi, car je suis ensuite hébergée loin du centre. J’avais hâte d’échapper à l’hiver maussade et de retrouver enfin le soleil du sud des États-Unis. Mais je n’aurais pas dû trop m’avancer : une vague glaciale a parcouru l’Amérique du Nord, et je suis arrivée le jour le plus froid de l’année : il a fait -4° avec un ressenti -7° ! C’est exceptionnel pour la Louisiane. Si bien que les canalisations de notre petite auberge n’ont pas tenu le coup : l’eau a gelé, la pompe s’est cassée et on s’est retrouvé sans eau pendant deux jours.
Une mauvaise expérience peut toutefois apporter de belles surprises et il ne faut pas se laisser abattre. Comme je dois trouver un endroit où me doucher, je me rends à la piscine communautaire de Tremé, où l’entrée est gratuite. Tremé est un quartier historique de la ville, célébré dans la série télévisée du même nom qui relate la vie du quartier après l’ouragan Katrina en 2005. Il est considéré comme le premier quartier afro-américain des États-Unis et surtout, comme le berceau du jazz. Tous les dimanches, il y a des « second lines », où les musiciens de « brass band », des fanfares de jazz, sortent dans la rue, suivis par une foule venue pour danser.
En me baladant dans le quartier pour rejoindre la piscine, j’entends une mélodie jazz envahir la rue. Je me dirige alors vers la musique, qui sort en fait d’enceintes, et me retrouve devant un petit café, les tables posées à même la route. Là, Brandon PELLERIN m’accueille avec un grand sourire. Son Café Calas a ouvert la semaine précédente. Il y vend des « calas », des sortes de beignets de riz frit dans l’huile de coco, saupoudrés de sucre glace. C’est délicieux !
Cette recette a une histoire, raconte Brandon. Elle a été ramenée par les esclaves venus d’Afrique. Les femmes esclaves en vendaient au 18è et 19è siècle pour acheter leur liberté. Il m’explique que lorsque la Louisiane était sous domination espagnole, les esclaves pouvaient devenir libres en donnant une certaine somme d’argent. La recette a ensuite été transmise de génération en génération. Brandon se souvient d’ailleurs de sa grand-mère qui lui cuisinait des calas avec les restes du riz cuisiné la veille. Il a décidé de remettre les calas sur le devant de la scène et est aujourd’hui le seul à en vendre dans la ville. « Cela devrait être aussi connu que les beignets, et c’est même meilleur », lance-t-il en riant. Les beignets, venus de France, sont en effet la spécialité de la Nouvelle-Orléans. Je dois avouer que les calas sont moins gras, moins sucrés et plus raffinés.
Pendant ces quelques jours après mon arrivée, j’en profite pour chercher des contacts et rencontrer des francophones, comme à l’Alliance française par exemple, ou bien via Le Monde créole, qui propose des visites guidées de la ville en français. En tant que journaliste, c’est toujours intéressant de rencontrer d’autres personnes même si elles ne seront pas dans nos reportages, car elles peuvent nous donner des idées de contacts et nous parler de leur pays, région ou identité, afin de mieux comprendre son histoire.
C’est ainsi que je partage mon petit-déjeuner avec Jessé BATMAN, un jeune compositeur et musicien d’origine cajun de 26 ans, qui a grandi près de Lafayette. Sa famille a une usine de glaçons, notamment pour conserver les alligators qui ont été chassés. Il parle très bien français, une langue apprise avec ses grands-parents et aussi en France. Il roule les « r » et utilise d’autres mots, comme « asteur », contraction de « à cette heure » pour « maintenant », ou « icitte » pour « ici ». Pour lui c’est comme « une langue secrète » qu’il peut parler avec sa famille et ses amis sans être compris par « les Américains ».
Je suis alors assez surprise qu’il parle des « Américains » comme des personnes extérieures, alors qu’il est lui-même Américain. Il me dit alors « mais je suis franco-Louisianais avant tout ! ». Une autre personne rencontrée m’explique que les identités franco-louisianaise et créole louisianaise sont encore très fortes. Les Américains anglophones ne sont venus en Louisiane qu’après la vente de celle-ci en 1803 par Napoléon Bonaparte et la langue a été interdite à l’école que dans les années 1920.
La présence du français en Louisiane a retrouvé un nouvel élan dans les 1960 avec la création d’écoles d’immersion, au nombre de 25 au total aujourd’hui. Ce sont des écoles où les élèves ont tous les cours en français, sauf les cours d’anglais. Lors d’une soirée avec des militants et scientifiques qui travaillent sur l’environnement, afin de trouver des contacts sur le sujet, je suis surprise de voir que certains parents, originaires d’autres villes des États-Unis, ont inscrit leurs enfants dans une école d’immersion. Ils m’expliquent qu’ils ont fait ce choix non seulement parce qu’il s’agit souvent d’une école publique, donc gratuite, mais aussi parce qu’apprendre le français offrirait à leurs enfants une ouverture et de nouvelles opportunités. Quand je leur demande ce qui leur plaît le plus à La Nouvelle-Orléans, la plupart me répondent « les gens » et d’autres « la musique » . Ils trouvent que les habitants sont accueillants et chaleureux. D’ailleurs, beaucoup considèrent que cette ville a plus une énergie caraïbéenne qu’états-unienne.
Enfin, last but not least, la ville de La Nouvelle-Orléans est en pleine saison de Mardi Gras. Il démarre chaque 6 janvier lors de l’Épiphanie, avec le défilé de Jeanne d’Arc. Les parades envahissent les rues quasiment chaque jour. La saison se termine le jour de Mardi Gras à minuit, qui a lieu cette année le 13 février. Il s’agit de la plus grande festivité louisianaise, plus importante que Noël pour beaucoup. Les maisons sont décorées avec des drapeaux et guirlandes aux couleurs du Mardi Gras, violet, vert et or, qui représentent respectivement la justice, la foi et le pouvoir. Avec la pandémie de covid-19 en 2021, où les parades ont été annulées, certaines habitations ont été décorées comme des chars et sont devenues des « chars-maisons » (housefloats). Rien ne peut arrêter la créativité des habitants !
Asteur, je suis hébergée pendant une semaine dans le quartier de 7th Ward, chez Hélène, une dermatologue venue de France, avec sa fille Madeleine, 25 ans, qui travaille comme infirmière à l’hôpital. Elles ont un chat qui s’appelle Freddy, et puis Ralph, le python de 1 mètre 50 qui dort dans la même chambre que moi. Heureusement, il est bien enfermé dans sa cage et passe son temps à dormir ! Hélène et Madeleine me parlent aussi d’une autre réalité aux États-Unis, loin des fêtes et des quartiers touristiques : celui de la violence par armes à feu, les armes étant autorisées dans le pays. De nombreuses fusillades tragiques marquent encore les esprits. Le quartier où elles habitent n’est pas toujours sûr la nuit et elles entendent parfois des coups de feu. Souvent des règlements de compte. Madeleine me raconte que sur les 24 lits de son service de traumatologie, la moitié sont occupés par des personnes victimes d’armes à feu, le reste par des accidents de voiture, puis quelques personnes âgées qui sont tombées par terre. C’est dire l’ampleur du phénomène.
En tout cas, j’ai hâte de commencer vos reportages. Une dizaine sont déjà calés pour la semaine prochaine et ils seront publiés au fur et à mesure. N’hésitez pas à écouter les reportages réalisés par les autres classes, vous découvrirez plein de sujets passionnants !
Je vous laisse avec une devise louisianaise (en français cajun) : "Laisser les bons temps rouler !"
Marine, votre envoyée spéciale en Louisiane
Un carnet écrit en janvier 2024
Sources photographiques
Notre envoyée spéciale est prête pour le départ en Louisiane © Globe Reporters
L’auberge de jeunesse Madame Isabelle, dans laquelle notre envoyée spéciale passe quelques jours à son arrivée. Elle est située dans le quartier de Faubourg Marigny © Globe Reporters
Le centre-ville de La Nouvelle-Orléans : d’un côté, l’ancien quartier appelé « French Quarter » (quartier français) ou « Vieux Carré ». De l’autre, le quartier des affaires avec ses gratte-ciels © Globe Reporters
La cathédrale Saint-Louis dans le Vieux Carré © Globe Reporters
Le drapeau des États-Unis, de la Louisiane et de la France © Globe Reporters
Des panneaux en français dans le Vieux Carré © Globe Reporters
Le drapeau des États-Unis, « The Star-Spangled Banner » © Globe Reporters
Bateau à aubes sur le Mississippi. Aujourd’hui prisés par les touristes, ces bateaux étaient utilisés pour le commerce du coton et de la canne à sucre © Globe Reporters
Le bateau à aubes Natchez © Globe Reporters
Le bateau à aubes Natchez © Globe Reporters
Les maisons sont décorées pour le Mardi Gras. Ici, avenue de l’Esplanade, entre Faubourg Marigny et le Vieux Carré © Globe Reporters
Des bâtisses du Vieux Carré décorées pour le Mardi Gras © Globe Reporters
Des bâtisses du Vieux Carré décorées pour le Mardi Gras © Globe Reporters
Le temple vaudou de la prêtresse Miriam © Globe Reporters
Des pralines, une des spécialités sucrées de La Nouvelle-Orléans © Globe Reporters
Le Café Calas, ouvert depuis une semaine. Brandon, à droite, remet au goût du jour une recette de ses ancêtres esclaves © Globe Reporters
Les calas, recette des femmes esclaves au 18è et 19è siècle, qui consiste à faire frire des boules de riz cuit © Globe Reporters
Le bâtiment historique de l’Alliance française, situé rue Jackson © Globe Reporters
La préparation des beignets, autre spécialité sucrée de la ville, cette fois venue de France © Globe Reporters
Notre envoyée spéciale déguste les beignets avec notre célèbre café au lait, une autre spécialité de la ville. Elle n’a pas réussi à les finir © Globe Reporters