Séjour à Lafayette, capitale de l’Acadiane

Publié le 10 février 2024

Notre envoyée spéciale Marine LEDUC passe trois semaines à Lafayette, le pays des Cajuns francophones. Elle raconte son immersion dans ce territoire rural proche de La Nouvelle-Orléans et pourtant bien différent.

Carnet de route

Bonjour tout le monde,

Me voici à Lafayette depuis deux semaines. Une petite ville au milieu des prairies du sud de la Louisiane, très proches des marécages et bayous. Pour me rendre à Lafayette, j’ai pris un bus depuis La Nouvelle-Orléans, un bus « Greyhound », compagnie de bus des États-Unis, célèbre dans la littérature américaine des années 1960. Le trajet dure environ 2h30. Aujourd’hui les Greyhound ne sont plus tant fréquentés par les voyageurs de tout bord, mais plutôt par les personnes moins aisées, surtout des Afro-Américains et Latino-Américains, qui n’ont pas forcément les moyens d’acheter une voiture. Les stations de bus sont aussi souvent situées dans des quartiers peu sûrs.

Malheureusement, je connais une expérience bouleversante, tristement commune aux États-Unis : alors que le bus est prêt à partir de Bâton-Rouge, la capitale de la Louisiane, une dizaine de coups de feu retentissent à quelques mètres du bus. Il fait nuit, mais nous pouvons apercevoir un homme courir et s’échapper derrière les grilles de la station de bus. Des passagers sont nerveux, d’autres gardent leur calme, comme s’ils étaient habitués, mais la conductrice réussit à nous rassurer.

Nous comprenons qu’il s’agit d’un règlement de compte et que nous ne sommes pas en danger. Cela fait tout de même peur, car de nombreux innocents sont victimes de balles perdues. La violence par arme à feu est une triste réalité aux États-Unis, sur fond de misère sociale et d’inégalités raciales et économiques. Je ne pensais pas le vivre, mais en discutant avec de nombreuses personnes autour de moi, beaucoup ont expérimenté ces violences.

Arrivée à Lafayette, je suis accueillie par Mo, qui a une chambre dans sa maison. Il s’agit de l’ami d’une amie de Lafayette, que j’ai rencontré il y a 6 ans lors d’un autre voyage en Louisiane. Cette amie, qui a fait une école d’immersion en français, vit aujourd’hui en France et est mariée à un Français. D’ailleurs, le français est très présent dans la ville, surtout dans le centre. Les rues et les panneaux sont en français, les noms des boutiques sont souvent en français. Mêmes les bâtiments administratifs sont en français et anglais. Lafayette tire d’ailleurs son nom du marquis de La Fayette, général français proche du roi qui a aidé les Américains à gagner leur indépendance face aux Anglais, lors de la guerre d’indépendance des États-Unis entre 1775 et 1783.

Nous sommes aussi au cœur de l’Acadiane, le pays des Cajuns, ces descendants des Acadiens francophones qui sont partis du Canada français, déportés par les Anglais, au milieu du XVIIIè. Ils appellent cet événement « Le Grand Dérangement », considéré aujourd’hui par les historiens comme une opération de nettoyage ethnique. Beaucoup étaient originaires du Poitou, en France, au XVIè siècle, et s’étaient établis au Canada. Après la déportation, certains sont revenus en France, d’autres se sont installés en Louisiane française puis espagnole, dans les marais, bayous et prairies alentour. Il s’agissait d’une population pauvre, qui a vécu à côté des tribus de Natifs américains et d’autres populations sur place, allemands, espagnols et afro-créoles.

Pendant près de deux siècles, ils ont gardé la langue française cajun, leurs cultures et traditions, mais le gouvernement américain a ensuite interdit l’usage du français à l’école à partir de 1921 et la langue s’est perdue petit à petit. Aujourd’hui, avec des écoles d’immersion en français et des jeunes qui s’investissent pour conserver leur culture, la langue française ainsi que la musique cajun connaissent un renouveau.

A Lafayette, on peut aussi voir de nombreuses références à une certaine « Évangeline » : une rue porte son nom, ainsi que des bâtiments. Les roi et reine de la principale parade de Mardi gras à Lafayette sont Gabriel et Évangeline. Il s’agit de deux amoureux issus d’un poème de Henry LONGFELLOW (1847), qui raconte leur séparation lors du « Grand Dérangement ». Cette histoire est très célèbre ici, mélangée avec le folklore louisianais et les légendes comme le rougarou ou les tatailles.

J’ai aussi visité Vermilionville, un musée qui reproduit un village de Cajuns, avec des maisons anciennes. J’ai pu y rencontrer Kevin REES, un Cajun qui joue de l’accordéon et chante des chansons en français. Je l’enregistre lorsqu’il raconte l’histoire de l’interdiction du français à l’école, puis le renouveau de celui-ci dans les années 1960. Vous pouvez également écouter une de ses chansons en français. Il chante de vieilles balades apportées de France par les Acadiens et transmises de génération en génération. Elles datent du Moyen Âge ! Il est intéressant d’observer que des chants, des costumes de Mardi gras et des traditions ont été perdus en France, mais conservés ici au sud des États-Unis.

Cela fait donc deux semaines que je suis à Lafayette et j’ai pu apprendre les mots utilisés par les Cajuns mais aussi les afro-créoles, qui sont aussi présents dans la région. Je dois parfois adapter vos questions avec les mots utilisés ici, car certains ne comprenaient pas ce que je disais ! C’est comme apprendre une nouvelle langue. Vous trouverez également dans la rubrique carnet de route un lexique des mots cajuns, créoles et aussi de Natifs américains, qui utilisent parfois d’autres termes. Par exemple, pour dire « mon véhicule du travail » en français cajun, il faut dire « mon char d’ouvrage ». Pour dire « partir » c’est « quitter » en français cajun, mais « grouiller » chez les tribus du côté de Pointe-au-chien. Une diversité qui me fascine et qui montre la richesse de la francophonie.

Lâche pas la patate !

Marine

Écrit le 10 février 2024

Sources photographiques

Entrée du centre-ville de Lafayette © Globe Reporters
Entrée du centre-ville de Lafayette © Globe Reporters
Les rues sont indiquées en français © Globe Reporters
Les rues sont indiquées en français © Globe Reporters
Le drapeau de l’Acadiane : l’étoile est le symbole de l’Acadie, la fleur de lys, du lien avec la France, et la forteresse de la Louisiane espagnole © Globe Reporters
Le drapeau de l’Acadiane : l’étoile est le symbole de l’Acadie, la fleur de lys, du lien avec la France, et la forteresse de la Louisiane espagnole © Globe Reporters
Panneau en français dans le centre-ville © Globe Reporters
Panneau en français dans le centre-ville © Globe Reporters
La ville est parée pour Mardi gras © Globe Reporters
La ville est parée pour Mardi gras © Globe Reporters
Affiche d’une parade de Mardi gras © Globe Reporters
Affiche d’une parade de Mardi gras © Globe Reporters
Des vendeurs vendent des accessoires de Mardi gras avant une parade © Globe Reporters
Des vendeurs vendent des accessoires de Mardi gras avant une parade © Globe Reporters
Des habitants déguisés pour la parade du soir. Il s’agit des costumes du Courir de Mardi gras cajun © Globe Reporters
Des habitants déguisés pour la parade du soir. Il s’agit des costumes du Courir de Mardi gras cajun © Globe Reporters
Les vitrines sont aux couleurs de Mardi gras © Globe Reporters
Les vitrines sont aux couleurs de Mardi gras © Globe Reporters
Avant une parade, il n’est pas rare de croiser une personne déguisée dans la rue © Globe Reporters
Avant une parade, il n’est pas rare de croiser une personne déguisée dans la rue © Globe Reporters
Le boudin est une spécialité locale, mais il est différent du boudin en France. Il s’agit d’un mélange de porc et riz avec des épices © Globe Reporters
Le boudin est une spécialité locale, mais il est différent du boudin en France. Il s’agit d’un mélange de porc et riz avec des épices © Globe Reporters
Des barrières sont posées sur la route pour le défilé des parades avec des chars © Globe Reporters
Des barrières sont posées sur la route pour le défilé des parades avec des chars © Globe Reporters
Le long de la route des parades, les arbres sont plein de « beads », les colliers en plastiques jetés depuis les chars © Globe Reporters
Le long de la route des parades, les arbres sont plein de « beads », les colliers en plastiques jetés depuis les chars © Globe Reporters
Le long de la route des parades, les arbres sont plein de « beads », les colliers en plastiques jetés depuis les chars © Globe Reporters
Le long de la route des parades, les arbres sont plein de « beads », les colliers en plastiques jetés depuis les chars © Globe Reporters
Entrée de Vermilionville, l’ancien nom de Lafayette, qui reproduit un village acadien de Louisiane © Globe Reporters
Entrée de Vermilionville, l’ancien nom de Lafayette, qui reproduit un village acadien de Louisiane © Globe Reporters
Kevin REES, dans une ancienne école reconstituée © Globe Reporters
Kevin REES, dans une ancienne école reconstituée © Globe Reporters
Dans une ancienne école reconstituée à Vermilionville © Globe Reporters
Dans une ancienne école reconstituée à Vermilionville © Globe Reporters
Dans une ancienne école reconstituée à Vermilionville. Un tableau qui évoque l’interdiction du français en Louisiane © Globe Reporters
Dans une ancienne école reconstituée à Vermilionville. Un tableau qui évoque l’interdiction du français en Louisiane © Globe Reporters
L’accordéon de Kevin REES. L’accordéon est un des principaux instruments de la musique cajun © Globe Reporters
L’accordéon de Kevin REES. L’accordéon est un des principaux instruments de la musique cajun © Globe Reporters
Reconstitution d’une maison cajun © Globe Reporters
Reconstitution d’une maison cajun © Globe Reporters
Panneau explicatif au musée de Vermilionville devant une ancienne maison cajun © Globe Reporters
Panneau explicatif au musée de Vermilionville devant une ancienne maison cajun © Globe Reporters
Panneau explicatif au musée de Vermilionville © Globe Reporters
Panneau explicatif au musée de Vermilionville © Globe Reporters
Arbre à Verimilionville, avec la typique « mousse espagnole » (Spanish moss), très présente dans le sud des États-Unis © Globe Reporters
Arbre à Verimilionville, avec la typique « mousse espagnole » (Spanish moss), très présente dans le sud des États-Unis © Globe Reporters
Entrée du centre-ville de Lafayette © Globe Reporters
Les rues sont indiquées en français © Globe Reporters
Le drapeau de l’Acadiane : l’étoile est le symbole de l’Acadie, la fleur de lys, du lien avec la France, et la forteresse de la Louisiane espagnole © Globe Reporters
Panneau en français dans le centre-ville © Globe Reporters
La ville est parée pour Mardi gras © Globe Reporters
Affiche d’une parade de Mardi gras © Globe Reporters
Des vendeurs vendent des accessoires de Mardi gras avant une parade © Globe Reporters
Des habitants déguisés pour la parade du soir. Il s’agit des costumes du Courir de Mardi gras cajun © Globe Reporters
Les vitrines sont aux couleurs de Mardi gras © Globe Reporters
Avant une parade, il n’est pas rare de croiser une personne déguisée dans la rue © Globe Reporters
Le boudin est une spécialité locale, mais il est différent du boudin en France. Il s’agit d’un mélange de porc et riz avec des épices © Globe Reporters
Des barrières sont posées sur la route pour le défilé des parades avec des chars © Globe Reporters
Le long de la route des parades, les arbres sont plein de « beads », les colliers en plastiques jetés depuis les chars © Globe Reporters
Le long de la route des parades, les arbres sont plein de « beads », les colliers en plastiques jetés depuis les chars © Globe Reporters
Entrée de Vermilionville, l’ancien nom de Lafayette, qui reproduit un village acadien de Louisiane © Globe Reporters
Kevin REES, dans une ancienne école reconstituée © Globe Reporters
Dans une ancienne école reconstituée à Vermilionville © Globe Reporters
Dans une ancienne école reconstituée à Vermilionville. Un tableau qui évoque l’interdiction du français en Louisiane © Globe Reporters
L’accordéon de Kevin REES. L’accordéon est un des principaux instruments de la musique cajun © Globe Reporters
Reconstitution d’une maison cajun © Globe Reporters
Panneau explicatif au musée de Vermilionville devant une ancienne maison cajun © Globe Reporters
Panneau explicatif au musée de Vermilionville © Globe Reporters
Arbre à Verimilionville, avec la typique « mousse espagnole » (Spanish moss), très présente dans le sud des États-Unis © Globe Reporters

Sources sonores

  • Chant de Kevin REES

  • Kevin REES raconte des souvenirs d’enfance