Notre reporter au Québec, Marine LEDUC, quitte Montréal pour Odanak, la communauté autochtone des Abénakis. Elle va y rester quelques jours pour poser les questions des globe-reporters. Elle raconte son voyage et son arrivée sur place.
CARNET DE ROUTE
Avant la venue des colons français et britanniques, le territoire québécois était habité par différents peuples : Inuits, Abénakis, Atikameks, Mohawks, Micmacs, Hurons, Cris, etc. D’ailleurs, « Canada » vient d’un mot huron qui signifie « village », tandis que « Québec » veut dire en algonquin « passage étroit ». La ville de Montréal est installée sur un ancien village iroquois appelé « Hochelaga ». C’est aujourd’hui le nom d’un quartier de la ville.
La colonisation et l’oppression subies par ces peuples a fortement diminué leur population. Selon les statistiques de 2015 du gouvernement québécois, de nos jours environ 105 000 autochtones forment 11 nations d’Amérindiens et Inuits. Et même s’ils ont obtenu plus de droits et que le Québec a reconnu un « génocide culturel », les inégalités demeurent.
Une partie d’entre eux vit dans ce qui s’appelle selon la loi « une réserve indienne », qui est un territoire donné aux autochtones. En général, le terme « d’indiens », de « réserve », voire « d’amérindien » n’est pas apprécié par les autochtones. Ils préfèrent « autochtones », « Premières Nations » ou le nom de leur peuple. Venir à Odanak va nous permettre de comprendre tous ces détails importants.
En effet, les journalistes respectueux ont pour principe de demander aux personnes concernées les termes sous lesquels elles souhaitent être désignées. Pour certains peuples, notamment opprimés, des noms circulent qui ont été donnés par des gens extérieurs. Par exemple, en Roumanie, où je travaille, les Roms ne veulent pas forcément être appelés « Tsiganes » ou « Bohémiens ». Le mot « rom » est celui qu’ils utilisent dans leur langue, tandis que les autres appellations ont été imposées par des personnes non-roms, avec parfois une connotation négative.
En route pour Odanak
Pour me rendre à Odanak, je prends le bus 700 de la station d’autobus de Longueuil, à côté de Montréal. Le bus longe le fleuve Saint-Laurent pendant une heure et demie pour arriver à son terminus, la petite ville de Sorel-Tracy. De là, Jacques et Catherine me récupèrent en pick-up pour aller à Odanak. Le trajet dure trente minutes et j’ai le temps de discuter avec eux. Jacques est Abénaki et Catherine est Atikamekw de Manawan. Elle a fait ses études au CEGEP Kiuna d’Odanak, qui accueille les autochtones de plusieurs nations différentes. Elle parle sa langue, l’atikamekw, tandis que Jacques déplore que la langue abénaki soit en déperdition. Malgré cela, certaines traditions perdurent, comme le pow wow, un événement annuel de musiques et de danses traditionnelles qui rassemble plusieurs Premières Nations. L’été, chaque communauté organise son pow wow lors de différents week-ends. Jacques me montre une photo sur son smartphone prise lors du dernier pow wow d’Odanak. Tous les deux sont vêtus des habits traditionnels, une tunique blanche avec des ornements et bijoux colorés. Jacques porte le manteau des Abénakis, de couleur noire.
Nous arrivons à Odanak. C’est un petit village tranquille de 400 habitants, entouré par une forêt et la rivière Saint-François. L’endroit est éloigné des grosses villes, mais n’est pas complètement isolé dans la nature, comme peuvent l’être d’autres communautés. « Déçue de ne pas voir de tipis ? » s’amuse Jacques. « C’est vrai qu’en général, les Européens s’imaginent que nous vivons encore sous des tipis. Mais on ne va quand même pas refuser le confort du chauffage et de l’électricité ! », ajoute Catherine. Elle m’annonce que le Musée des Abénakis a une exposition très intéressante sur les clichés véhiculés par les films hollywoodiens sur les Indiens. J’ai justement une interview de prévue avec les responsables du musée, ce sera donc l’occasion d’en parler.
Odanak, terminus !
Le village ressemble à tout autre village, si ce n’est le nom des rues en langue abénaki et un panneau qui annonce « Odanak, réserve indienne ». Certaines maisons décorent leurs jardins avec différentes influences : un Père-Noël gonflable côtoie un totem, tandis qu’une Vierge Marie trône entre deux visages d’autochtones sculptés dans le bois. Ce métissage culturel me rappelle d’autres régions du monde que j’ai visitées, comme la Louisiane et le Mexique, où le catholicisme se mêle aux cultures africaines et autochtones.
Le catholicisme et le protestantisme, arrivés avec les colons, ont également été imposés aux autochtones. L’actuel musée des Abénakis est un ancien couvent catholique où les jeunes de la communauté étudiaient. Jacques précise que ce n’était pas un pensionnat : « Les anglicans étaient eux envoyés dans un pensionnat en Ontario ».
Avant de venir, j’ai vu des vidéos et lu des articles sur les pensionnats. Ils avaient pour but d’assimiler les autochtones et d’annihiler leur langue, culture et identité. Un processus très fréquent qu’on appelle acculturation toujours en cours dans de nombreuses parties du monde. Même en France, mais les Bretons, Catalans, Basques, Corses, etc. sont mieux placés que moi pour en parler.
À Odanak, les enfants étaient séparés de leurs parents qu’ils ne retrouvaient que plusieurs mois plus tard. En pension, beaucoup d’enfants subissaient des sévices. Ce système a bouleversé la vie des communautés autochtones et aujourd’hui des anciens élèves exigent une reconnaissance pour les mauvais traitements reçus.
En discutant avec Jacques et Catherine, j’apprends beaucoup d’informations en très peu de temps. C’est parfois difficile de tout saisir. Jacques précise qu’une « réserve indienne » est sous juridiction fédérale (le Canada) et non provinciale (le Québec). Qu’elle est régie par une réglementation encore appelée la « Loi des Indiens », initiée en 1876 et modifiée dans les années 1980. Aujourd’hui, cette loi octroie des droits aux autochtones comme, dans certains cas, le fait de ne pas payer d’impôts sur des biens de la réserve ainsi que des droits de chasse et de pêche sur le territoire de la réserve.
« Le problème est que certains sont des imposteurs. Ils retrouvent un parent autochtone pour pouvoir profiter de ces droits et de jobs qui nous sont destinés », explique Catherine. Jacques ajoute que les autochtones restent privés de certains droits et qu’ils sont toujours considérés comme des « mineurs par le gouvernement fédéral ».
Pendant ces quelques jours, nous allons donc mieux comprendre quels sont les enjeux de toutes ces lois et droits dans la vie des Abénakis. Pour le moment, je dépose mon sac à dos. Je m’installe dans mon chez-moi pour quelques jours. Il s’agit d’appartement dans une résidence pour les étudiants du CEGEP ou pour des travailleurs occasionnels. Pour moi, c’est le grand luxe ! Et ce sera parfait pour travailler. Je profite aussi de l’air pur et des paysages enneigés que m’offre la campagne québécoise. Surtout au crépuscule, aux alentours de 16h, quand la lumière est idéale pour de jolies photos.
À bientôt pour la suite de l’aventure Cap sur Québec !
Votre envoyée spéciale, Marine LEDUC
Novembre 2019
Sources photographiques
Le bus de Longueuil à Sorel-Tracy.
Vue de la résidence étudiante.
Intérieur de l’appartement.
Résidences étudiantes.
Le panneau de signalisation en trois langues : abénaki, français et anglais.
Un restaurant à Odanak.
Des sculptures en pierre, sans doute des Inukshuks inuits. Un drapeau du Nunavik (drapeau inuit) est aussi présent à Odanak. Il est donc possible que des Inuits y habitent.
La salle familiale, un lieu où des activités pour les enfants sont organisées.
Une rue dans la commune de Pierreville, adjacente à Odanak. C’est ici que l’on peut trouver des services et un supermarché pour s’alimenter.
La rivière glacée de Saint-François.
Vue sur la rivière.
Paysage enneigé.
Bus scolaire pour les écoliers d’Odanak qui vont à l’école dans d’autres villes.
Coucher de soleil sur la rivière et le village d’en face.
Une maison à Odanak.
Église catholique d’Odanak.
Sculpture qui annonce le plombier du village.
Église anglicane d’Odanak.
Une maison d’Odanak avec la structure d’un tipi dans le jardin.
Totem dans le jardin d’une maison.
Petite maison en bois d’Odanak.
Les décorations de Noël sont de sortie.
Les noms des rues sont en langue abénaki.
Une petite maison illuminée.
Une autre maison déjà décorée pour Noël.