Abdelaki est installé à Paris depuis plus de trente ans. Ce pâtissier-boulanger répond aux questions des globe-reporters de l’école préparatoire Habib Thameur du Bardo.
CULTURE ET FRANCOPHONIE
Cette rencontre est un autre exemple du fait que lors d’un reportage, aucune piste n’est à négliger. Toutes les informations sont intéressantes et tous les points de vue sont à écouter. Comme celui de Abdelaki. En recherchant l’adresse 26, rue Laghouat dans le 18ème arrondissement de Paris, notre envoyée spéciale entre dans une boulangerie pour se renseigner. Les journalistes savent que s’il y a un commerçant qui connaît tout d’un quartier, c’est le boulanger puisque tout le monde passe chez lui.
L’homme renseigne gentiment Nadia. Nadia est sur le point de m’en aller, quand elle lui demande sa nationalité. Il me répond être tunisien et vivre en France depuis 30 ans. Il est originaire de Zarzis, près de Djerba. Notre envoyée spéciale tient probablement un nouveau portrait d’un immigrant vivant en France depuis des années.
Nadia lui parle de Globe Reporters Tunisie et il accepte de répondre au questionnaire. Mais Nadia est attendue pour une autre interview avec la médiatrice jeunesse de l’association Accueil Goutte d’or. Elle propose de repasser après.
Abdelaki dans sa boulangerie
Une heure plus tard, Nadia est de retour et je tombe sur la femme d’Abdelaki qui n’est pas au courant de l’interview. Du coup, la voilà repartie pour des explications. La femme se montre plus méfiante que le boulanger. Elle demande à voir une carte professionnelle. Nadia lui montre deux cartes ; celle de la FIJ (Fédération internationale des journalistes) et celle du SNJT (Syndicat national des journalistes tunisiens). Madame est rassurée et elle appelle son mari.
Pour ne pas déranger les clients, l’interview se fait à l’extérieur, à la terrasse d’un café voisin. L’interview dure une dizaine de minutes, puis il prend congé, car il a du pain à sortir du four et des clients qui se pressent, car l’heure du déjeuner approche.
Après la lecture de cette interview de cet habitant de la Goutte d’or, un " quartier chaud " de Paris, nous conseillons de découvrir l’interview d’une professionnelle qui travaille dans le quartier.
Dans la boulangerie d’Abdelaki
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Abdelaki, cela fait plus 35 ans que je suis en France. Je suis intégré ici. Je suis tunisien à 100%. Je ne me considère pas vraiment comme français.
Est-ce que vos enfants rencontrent des problèmes d’intégration ? dans la société ? À l’école ?
Il y a beaucoup de problèmes dans l’éducation. Mes enfants ne se considèrent ni Français ni Tunisiens. Ils disent qu’ils se sentent 50% français et 50% Tunisiens, mais, à mon avis, ils se sentent plus Français que Tunisiens.
Est-ce que vos enfants sont tiraillés entre leurs racines françaises et tunisiennes ? Pensez-vous que vos enfants se sentent déracinés ? Pourquoi ?
Les jeunes rencontrent des difficultés à l’école ou pour trouver le travail. Mes enfants connaissent leur origine, leur langue, leur religion, même s’ils ne parlent pas le dialecte tunisien ou n’écrivent pas en arabe. En France, ils sont intégrés.
Est-ce que vos enfants expriment le désir de vivre en Tunisie ?
Ils ont parfois cette idée d’aller vivre en Tunisie, mais il n’y a pas le dispositif qu’il faut dans le pays pour qu’ils y restent.
Question bonus : Qu’entendez-vous par dispositif ?
Un dispositif culturel, social, sportif, même économique. Mais s’ils trouvent un travail en Tunisie qui leur convient, à mon avis, ils pourront s’intégrer facilement.
Quelles sont les contraintes qui vous empêchent d’aller vivre en Tunisie ?
Demandez à un patron d’investir en Tunisie et vous allez voir la réponse. Si on compare avec le Maroc ou d’autres pays subsahariens, vous trouverez beaucoup d’entrepreneurs qui s’installent dans ces pays, mais pas en Tunisie, à cause de l’instabilité politique chez nous.
Est-ce que vos enfants parlent la langue tunisienne ? Y a-t-il une possibilité d’apprendre notre langue en France ?
Ils sont motivés pour apprendre leur langue, mais ils sont dépassés. Il y a certaines écoles et des mosquées où il est possible d’apprendre la langue arabe. Mes enfants font des progrès un temps, mais ils ne poursuivent pas leurs efforts.
Où et comment vivez-vous ?
Je vis dans le stress de l’immigration. Cela fait plus de 35 ans et je n’ai jamais été à l’aise en France. Beaucoup d’immigrés éprouvent le même sentiment que moi. Dans notre pays, nous ne sommes pas à l’aise. On voudrait investir chez nous, mais il y a des obstacles qui nous empêchent de rester en Tunisie comme l’instabilité politique, alors qu’on aime très fort notre pays.
Est-ce que vos enfants ont déjà été victimes de discrimination ? Comment ?
Mes enfants sont français. La discrimination existe dans la société, le travail, mais elle est invisible. Elle est remarquable, mais vous ne pouvez pas rentrer dans les cerveaux des gens.
Il y a deux ans, mon fils s’est absenté une semaine de l’école et il a été renvoyé de cette école. Alors que d’autres élèves se sont absentés durant la même semaine sans être sanctionnés. Les enseignants ont nié. Du coup, j’ai été obligé de le changer d’école.